Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Novelliste (Le Novelliste - 6)

Le sixième numéro du Novelliste s'est longtemps fait attendre, au point que le thème retenu, « Effroi de finir », pourrait presque prendre des accents d'autodépréciation. Il suffit cependant de voir le sommaire pour comprendre les raisons de cette longue gestation, puisqu'il propose pas moins de seize nouvelles, sans compter quelques articles et tout un tas de microfictions (ici appelées « historiettes »). Les éditions Flatland n'ont pas fait les choses à moitié, avec notamment huit nouvelles complètement inédites et un gros dossier sur Robert Duncan Milne, un écrivain de science-fiction américain de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. L'objectif de la revue reste en effet d'établir un dialogue entre le passé et le présent, entre précurseurs tombés dans l'oubli et jeunes pousses appelées à un bel avenir.

Au rang des anciennetés, on trouvera donc une nouvelle de R.D. Milne pour accompagner les deux articles et la bibliographie présentant l'œuvre de cet écrivain oublié. Dans Une nouvelle palingénésie (1883), le protagoniste assiste au sauvetage d'une femme à l'article de la mort par son mari, un scientifique de génie ayant découvert la quintessence de la vie. C'est un texte bien de son temps, dans lequel les dialogues des personnages ont souvent tendance à se transformer en longues diatribes scientifico-philosophiques. Il reste tout de même plus digeste que le Voyage en d'autres mondes de John Jacob Astor IV (1894) dont le Novelliste continue la feuilletonisation. Nos « amis » les chasseurs colonialistes, non contents d'avoir semé la mort sur Jupiter entre deux échanges aussi savoureux qu'un article de Wikipédia, ont décidé de se rendre maintenant sur Saturne. Un dernier texte du dix-neuvième siècle figure au sommaire : Dans la tombe de Nikolaï Borovko (1892), une histoire d'enterré vivant à la première personne de facture classique, dont l'intérêt réside surtout dans le fait qu'il s'agit d'un des tout premiers textes de littératures de l'imaginaire écrit en espéranto. Dans les eaux calmes de l'espace de Robert Sheckley, nettement plus récente (1953), est de loin la meilleure de la section « passé » de la revue : rien à voir avec le ton sardonique du Temps des retrouvailles, c'est une nouvelle très douce et touchante.

Un deuxième pôle de ce numéro comprend quatre nouvelles plus récentes d'auteurs anglophones. Elles jouent beaucoup sur un sentiment d'étrangeté subtile, à la frontière entre le banal et l'impossible, la bascule étant précipitée par les traumatismes des personnages. Il serait possible de les présenter comme des textes entièrement dépourvus d'imaginaire : la narratrice de Tranquillement gigantesque, par K.C. Mead-Brewer (2018), est confrontée à une invasion de cafards chez l'amie d'enfance pour qui elle joue les garde-maisons ; le protagoniste du Mannequin, de Nicholas Royle (2008), erre en compagnie d'un mannequin de vitrine qui symbolise sa culpabilité d'avoir trompé sa femme ; le héros de Dinosaure, de Steve Rasnic Tem (1987), promène sa fascination pour l'extinction des dinosaures au fin fond d'une cambrousse états-unienne en pleine déshérence. Néanmoins, le texte que j'ai le plus apprécié de cette partie fait exception. Il s'agit de L'homme creux, de Lisa Tuttle (1979), qui adopte un postulat plus carré : on y suit une veuve à qui les progrès de la science ont rendu son mari, mais la vie à laquelle ce dernier est revenu n'est que l'ombre de celle d'avant. La charge émotionnelle de ce récit le rend particulièrement mémorable, en contrepoint au texte de Milne qui vient juste après.

Parmi les textes inédits, j'ai été surpris d'en découvrir plusieurs où l'aspect imaginaire est si réduit qu'il semble à peu près inexistant. Le narrateur du Monde en une ligne de Fabrice Schurmans nous partage quelques scènes humaines aperçues lors d'un trajet en bus ; le héros de Sonate pour le rossignol jaune, de Florin Spătaru, traîne ses émois d'étudiant étranger dans les rues de Pau. J'ai cru que Sylvain-René de la Verdière allait faire la même chose dans Vremya poyezda, mais le voyage en Transsibérien du personnage principal constitue en fin de compte un retour dans le passé plus littéral que métaphorique et j'ai beaucoup apprécié la subtilité de ce récit.

Le malaise est au rendez-vous dans plusieurs nouvelles, comme Otto de David Sillanoli, une série de fragments d'univers alternatifs crapoteux à souhait ; La maison des mouches de Romain Jourdy, avec son protagoniste dont on ignorera jusqu'au bout s'il est ou non un meurtrier ; et Le mot de la fin de Nicolas Liau, délectable conte macabre dans la lignée de Quand je serai grand, je serai mort ou L'ange de la mélancolie. Au milieu de ces choses parfois déplaisantes à lire, on pourra souffler un peu avec Le partage du territoire d'Antonin Sabot, de l'anticipation plus classique dans laquelle un vieil homme peine à accepter la perte de sens des campagnes dans un futur proche, ou avec l'élégante fantasmagorie sous-marine du Voyage en pays de scaphandrie auquel nous convie Robert Darvel.

Pour compléter le sommaire, on trouvera au rayon non-fiction un portrait du défunt Jacques Abeille par un de ses amis, qui revient longuement sur les déboires éditoriaux de l'auteur des Jardins statutaires, ainsi qu'une rétrospective inachevée (à la suite du décès de son auteur Jean-Pierre Laigle) sur le thème de la disparition des mers dans la science-fiction. Le reste de ce numéro est dédié aux microfictions et il est difficile d'en dire quelque chose de pertinent : certaines font mouche (notamment le lot d'historiettes inspirées à Céline Maltère par les dessins de Fernando Goncalvès-Félix), d'autres non, mais c'est si court qu'il est facile de se concentrer sur le positif.

« Court » n'est pas le mot qui conviendrait pour décrire ce numéro 6 du Novelliste, bien au contraire. Cette revue de passionnés reste toujours aussi passionnante : espérons que le numéro 7 ne tardera pas à venir !