Rien ne va plus au Danemark ! Le palais de Cerf, construit par le puissant roi Hrothgar, est chaque nuit la cible des attaques d'un monstre nommé Grendel. Les Danois ont beau être courageux, aucun d'eux n'ose se mesurer à cette effroyable créature. Pour s'en débarrasser, il faudrait rien moins qu'un héros. Cela tombe bien : le jeune Beowulf a entendu parler des déboires des Danois. On le dit fort comme trente hommes, mais cela suffira-t-il face au terrible Grendel ?
Beowulf est un poème singulier à plus d'un titre. Avec ses trois mille vers, c'est de loin le plus long poème qui subsiste de la période anglo-saxonne de l'histoire de l'Angleterre, ces siècles méconnus qui séparent le départ des armées romaines, à la fin de l'Antiquité, de la conquête du pays par Guillaume le Conquérant, en 1066. Pourtant, les événements qu'il raconte ne se déroulent pas en Angleterre, mais en Scandinavie, dans les régions occupées par les ancêtres des Anglo-Saxons. C'est une véritable épopée qui raconte les exploits d'un héros face à plusieurs monstres, mais elle décrit aussi soigneusement les relations entre différents peuples germaniques du sixième siècle de notre ère. L'époque de Beowulf est résolument païenne, mais le poème tout entier est pénétré d'allusions et de références au christianisme.
Toutes ces contradictions font de Beowulf une œuvre abondamment lue et étudiée dans la sphère anglophone, mais qui reste peu connue dans la francophonie. Les quelques tentatives d'adaptation au cinéma dont elle a fait l'objet ne sont pas vraiment devenues des références, qu'il s'agisse du film à gros budget de Robert Zemeckis sorti en 2007 ou, quelques années plus tôt, de la version cyberpunk passablement nanardesque dans laquelle Christophe Lambert tenait le rôle principal. C'est donc une chance que l'on dispose tout de même d'une traduction du poème à la fois accessible et peu chère. Le chercheur André Crépin propose une édition bilingue avec sa traduction en regard du texte original, ce qui permet de mesurer à quel point le vieil anglais est éloigné de son descendant actuel. L'introduction présente de manière claire et concise le poème, son intrigue, son contexte de production et sa possible finalité. Index, arbres généalogiques et éléments de chronologie viennent compléter de manière bienvenue l'ouvrage.
La traduction est très lisible. André Crépin explique dans son introduction avoir cherché « à conserver, autant que possible, l'ordre et la densité des hémistiches », ce qui aurait pu aboutir à un résultat très lourd et à la diction peu claire, tant la grammaire du vieil anglais est éloignée de celle du français, mais ce n'est pas le cas. Le résultat se comprend très bien et offre même quelques formules percutantes qui donnent un bel aperçu de l'idéal héroïque des sociétés germaniques médiévales : « Mieux vaut la mort pour un preux qu'une vie d'infamie », s'exclame Wiglaf, dernier compagnon de Beowulf, en s'adressant aux guerriers qui ont déserté leur seigneur à l'heure de sa mort.
Ce petit livre est donc un excellent moyen de découvrir Beowulf et plonger avec plaisir dans des mythes et légendes d'un passé embrumé.