Les Chroniques de l'Imaginaire

L'âme du fusil - Marpeau, Elsa

Nous avons Philippe qui s’ennuie ferme chez lui depuis qu’il est au chômage. Nous avons Maud, sa femme, qui trime dur et rentre tard la nuit de son service au restaurant. Nous avons leur fils Lucas, l’adolescent pas très causant, un de ceux qui préfèrent les écrans à ses parents. 

Philippe s’enlise dans ce train-train familial uniquement égayé par des weekends de biture avec sa bande de copains chasseurs et la perspective de transmettre sa passion des canons au fiston. Alors forcément lorsque Julien Langlois, fraîchement débarqué de Paris, vient s’installer à Chilleurs-aux-Bois, dans la maison d’en face… Philippe trouve qu’il y a anguille sous roche. 

Il se met à espionner quotidiennement son nouveau voisin et se surprend à aimer ce qu’il voit. Se sentant investi d’une nouvelle mission, il reprend du poil de la bête et va même pousser le vice jusqu’à l’inviter chez lui afin de le présenter à sa famille, puis à ses amis.

Évidemment, la confrontation des deux mondes engendre des silences gênants de prime abord mais c’est sans compter sur le charme contagieux du jeune Parisien qui va amener bien des revirements de situation. Entre vannes et compliments, un jeu de dupe s’installe et certains seront prêts à tout pour marquer leur territoire…

Quelle étrange lecture que cet ouvrage d’Elsa Marpeau, à mi-chemin entre le roman noir et le polar rural. Une tension palpable qui n’aura cessé de croître tout du long malgré certaines de mes réticences. 

Parce que oui, au départ, c’était mal barré avec cette histoire. Les personnages et leur caractère mal dégrossi de vieux beaufs, rustres et misogynes… très peu pour moi. Alors en plus, le cliché de l’éternel combat entre le bobo-citadin, androgyne et précieux, qui carbure à la coke, et l’authentique chasseur, alcoolique mais sympathique… autant vous dire que moi aussi j’ai eu « le sang qui bout et le cerveau qui s’obscurcit » !

Et puis, l’air de rien, les pages se sont tournées et j’avais quand même sacrément envie de savoir la suite. Même si j’avais ma petite idée puisque, dès le prologue, Elsa Marpeau nous livre un aperçu du final. Plutôt surprenant comme procédé mais qui contribue pas mal à alimenter le suspense. On se retrouve malgré nous à l’affût dans les fourrés, vêtu d’un treillis, à guetter les traces fraîches et à suivre la progression du chien. 

Alors non, ça ne m’aura pas convaincu de la nécessité de la chasse (de toute manière ce n’est pas le débat du livre) et je ne comprends toujours rien au jargon de la profession mais l’ambiance qui se dégage de ce cadre impose paradoxalement une certaine forme d’humilité.

La nature est particulièrement bien décrite, sous tous ces aspects, qu’il s’agisse de la faune, de la flore ou des bas et vils instincts primaires. On perçoit la rancœur, la haine accumulée et comment certaines ambiguïtés peuvent ainsi devenir des obsessions. C’est juste dommage que les hommes jouent encore le premier rôle, même quand celui-ci n’est pas beau à voir.