Les Chroniques de l'Imaginaire

L'étreinte du roncier - Ségur, Manon

1934. Toutes les nuits, Célia Wilkinson est assaillie par des cauchemars récurrents. Elle se rêve pierre, prisonnière dans un gisant funéraire, visitée par une créature chafouine au nez tordu et aux yeux de rat qui lui dédie des sacrifices sanglants et orne sa statue de pavots du diable d'un bleu azur. Immanquablement, Célia se réveille de sa transe horrifique en sueur, angoissée. 

De telles terreurs nocturnes n'ont rien d'étonnant au vu du passé traumatisant de la jeune femme. Elle a vécu son enfance dans une Ukraine dévastée par la guerre civile, orpheline, soumise aux caprices d'une bande de soldats en compagnie d'autres adolescentes. Pour échapper aux sévices infligés par un tortionnaire sadique, elle l'a étranglé avec ses propres chaînes et s'est enfuie aussi vite et loin qu'elle a pu. Elle a alors eu la chance de croiser les Wilkinson, un couple de riches diplomates anglais qui l'a adoptée avant de l'installer en France dans un petit château du Languedoc. Maintenant, elle vit seule dans ledit château, Castel-Sorga, dont elle assure l'entretien, ne recevant que rarement la visite de ses parents adoptifs. Elle occupe ses journées à boire ou à peindre sans grand talent. Misanthrope, cette existance solitaire lui convient, exception faite des mauvais rêves.

Son château est au pied du petit village de Rocagne, près de Castres. Comme elle fait partie des rares locales à disposer d'une voiture, c'est tout naturellement que le maire fait appel à elle pour ramener de la ville voisine leur nouveau pasteur. Faute d'homme disposé à officier dans ce trou perdu, il s'agit d'une douce et jolie révérende, Clémence Saleyrou. Le lendemain, un décès inaugure toute une série d'événements macabres qui vont troubler le quotidien de ce village jusque-là paisible.

Pour Célia, la situation prend un tour très personnel, car les sombres événements font écho à ses propres cauchemars fantastiques qui deviennent prémonitoires. Depuis les fleurs de son pays natal qui poussent hors saison autour du château, jusqu'à cet étranger - Sylve Tanat - qui semble tout droit issu de son passé tourmenté, la réalité se trouble autour de la jeune femme... Est-ce vraiment la réalité ou nage-t-elle en plein délire ?

L'étreinte du roncier nous entraîne dans un petit village médiéval perdu dans la Montagne Noire, contrefort méridional du Massif Central. Rocagne étant isolé et peu accessible, le récit fonctionne quasiment en huis-clos, les seuls protagonistes en étant les habitants du village et la poignée de nouveaux venus désireux de s'y installer. L'ambiance est sombre et étouffante. 

Dans une premire partie, on accompagne la lente descente aux enfers de Célia, perdue entre ses cauchemars et une réalité de plus en plus insensée autour d'elle. Elle fuit son passé depuis toujours, mais va pourtant devoir l'affronter pour continuer à avancer. Dans la deuxième partie, la jeune femme va suivre un cheminement mystique, alors même que tout s'affole autour d'elle dans le village où les tensions sont soudainement exacerbées, chacun de ses habitants mettant à nu la bassesse de son âme. Le mode thriller s'accentue, avec un rythme qui s'accélère et un suspense oppressant. L'intrigue devient imprévisible, empruntant des chemins inattendus, mêlant souvenirs néfastes, désirs de vengeance, rédemption des péchés, amour et divinités oubliées, en vrac.

L'écriture de Manon Ségur est travaillée et délicate, et comblera les amateurs de langue ciselée. Pour ceux qui y sont moins sensibles, certains passages pourront sembler un peu longs, sans plus.

Pour qui aime les contes fantastiques empreints de noirceur, l'ambiance gothique, et les plumes de qualité, ce roman publié chez Crin de chimère pourrait être une belle découverte.