A Cerbère, ville française à la frontière avec l'Espagne, les trains ne circulent plus en 1939. Les orangères n'ont plus de travail et les fruits pourrissant s'entassent dans les wagons. On assiste à la Retirada, cet exode massif de Républicains et de Catalans qui fuient les avancées franquistes. Les réfugiés traversent les Pyrénées par milliers. La guerre est désormais aux portes de l'Europe.
Pendant quelques jours de cette période délétère, nous allons suivre quatre personnages. Montserrat, une orangère résistante. José, un peintre, seul habitant d'un hôtel de luxe, homme étrange côtoyant la mort de près dans une recherche perpétuelle de la beauté. Carles, un cuisinier en fuite qui trouve refuge à l'hôtel. Et Walter Bermann, un philosophe qui a dans sa sacoche de quoi, prétend-il, sauver le monde.
Ces quatre personnages n'ont rien en commun si ce n'est qu'ils sont obligés de vivre les uns aux côtés des autres, chacun à la recherche de son idéal. La beauté, la liberté, le goût de vivre, la pensée. Autour d'eux, la résistance opère en coulisses, donnant aux femmes et hommes croisés dans le récit une dimension nouvelle. La peinture et la cuisine sont une échappatoire, mais la mort et les ténèbres ne sont jamais bien loin. Plus l'histoire avance, plus les imbrications entre ces différents destins se resserrent. Plus la beauté et le tragique s'entremêlent dans une danse funeste.
Les planches de Thomas Azuélos sont au diapason de l'atmosphère du scénario. Les traits des personnages sont épurés, les couleurs variant du gris, au bleu clair, au blanc, conférant au récit une ambiance spectrale et onirique. Seuls les décors naturels se parent de couleurs vives jusqu'à la saturation, amplifiant le contraste entre le monde de la nature et le monde (absurde) édifié par les hommes.
On est sur le fil pendant la lecture, entre fable et récit historique. C'est un angle déroutant au début qui devient vite engageant. Le contexte historique est le terreau tangible sur lequel se déploient des histoires humaines romanesques. On se laisse prendre par le cours des évènements, qu'importe le degré de vraisemblance. La dernière partie est à mon sens plus hermétique et m'empêche de terminer ce roman graphique avec le plaisir ressenti précédemment.
Il me semble toutefois que, pour Toute la beauté du monde, il faut accepter de ne pas savoir ouvrir toutes les portes et se laisser happer par ce que Thomas Azuélos a voulu nous proposer. Car après tout, c'est réussi. Et plein de beauté.