Les Chroniques de l'Imaginaire

Le rayon vert - Verne, Jules

En terres écossaises, deux frères quinquagénaires sont les tuteurs entièrement dévoués à leur nièce, miss Campbell, qui perdit ses parents très jeune. Quelques semaines avant son dix-huitième anniversaire, ses deux oncles fortunés se mettent en tête de la marier. Jamais sans avoir vu le rayon vert, répond l'orpheline avec son aplomb naturel. Mais quel est ce mystérieux rayon vert auquel les deux compères n'entendent rien ? L’enjeu au cœur du récit ne tournera pas autour de cette énigme rapidement dévoilée mais sera plutôt axé sur la future alliance de miss Campbell.

Dans l'aristocratie du XIXe siècle, le mariage d'une jeune femme devenue majeure est effectivement la norme et les frères Melvill ont déjà une idée bien arrêtée quant au futur mari, à l'église en parfait écrin de la cérémonie et jusqu’au nombre d'invités. Ils se plaisent déjà à imaginer un beau mariage en pensant à l'issue de Beaucoup de bruit pour rien, célèbre comédie shakespearienne. Mais les bonnes intentions de Sam et Sib Melvill pour trouver un beau parti à leur nièce seront-elles couronnées de succès ?

Eu égard au nom ridicule dont l’a affublé Jules Verne, on présume vite que le prétendant, Aristobulus Ursiclos, est loin d’être un aussi bon parti que ne le pensent les deux oncles. Cet érudit féru de sciences certes pourvu d’une belle fortune se révèle être un véritable cuistre égocentré pérorant, à tort et à travers, au son d’interminables "monologues sans alinéa". Un profil prodigieusement ennuyeux qui ne fait guère bon ménage avec les aspirations aventureuses de la fantasque Helena Campbell. La figure exaspérante du savant tournée en dérision fait progressivement place à celle diamétralement opposée d’Olivier Sinclair, amateur de voyages parfois périlleux et doté d’une authentique sensibilité artistique.

Cette comédie sentimentale au ton léger est surtout le prétexte à des excursions fluviales à travers la Clyde, un des fleuves majeurs d’Écosse. A bord d’un steamer, ce bateau à vapeur en vogue en pleine Révolution industrielle, les protagonistes traversent ainsi Glasgow, naviguent devant châteaux, villages et cottages, de fleuve en bras de mer, de presqu'île en archipel et de golfe en détroit. C’est aussi l'occasion de portraiturer avec une douce ironie la grande bourgeoisie oisive transhumant, dès la belle saison, dans les stations balnéaires des Highlands.

On retrouve le goût immodéré de Jules Verne pour les voyages romanesques et les personnages hauts en couleur, tels les frères Melvill dépeints en parfaits candides se connaissant si bien que l'un finit la phrase de l'autre, qui semblent préfigurer les Dupond et Dupont de Hergé. Et quelle merveille que la prose de ce grand auteur décrivant inlassablement, sans jamais être redondant, la mer, cette « immensité liquide » et ses noces crépusculaires avec « le disque solaire ». A lire sans modération pour tous les amoureux de voyages.