En 1964, Naja rejoint avec ses trois filles son mari parti travailler en France. Si elle est heureuse de laisser derrière elle les champs de blé trop secs d'Algérie, elle déchante vite en voyant s'envoler ses espoirs de vie à l'occidentale dans une relative abondance. Saïd ne peut guère lui proposer mieux qu'un minuscule appartement dans une banlieue parisienne grise et morose.
C'est là que la famille va vivre désormais, dans un quartier HLM rendu chaleureux malgré tout par le voisinage sympathique et accueillant. Naja se lie d'amitié avec ses voisines, les unes épaulant les autres dans un élan naturel de sororité. Le frère de Saïd s'est aussi installé en France et s'est marié à Eve, une femme amicale et charmante qui va tout de suite nouer une relation complice avec Naja.
Les jours se suivent et se ressemblent, pas comme Naja l'aurait aimé, mais son identité, femme, maghrébine et musulmane, veut qu'elle accepte les difficultés de la vie avec courage et résignation. Lorsqu'elle apprend qu'elle est de nouveau enceinte, il lui faudra prendre une décision qu'elle saura, comme toujours, affronter avec force et dignité. Mais aussi un immense chagrin intérieur. Cette décision sera un secret et le fil rouge sur lequel l'intrigue va se dérouler.
Avec Soleil amer, Lilia Hassaine dresse le portrait touchant d'une famille sur trois décennies. On y voit la difficulté de trouver sa place, notamment à travers les trois filles de Naja et Saïd. L'aînée, Maryam, a essayé de se soustraire au poids des traditions sans y parvenir. Sonia est dans l'entre-deux et essaie de s'affirmer en tant qu'immigrée intégrée. Quant à Nour, la dernière, elle a tout perdu des codes moraux de sa famille.
Le roman mêle intimement histoire de l'immigration en France et histoire individuelle, avec talent et sensibilité. On comprend aisément à la lecture qu'il s'agit d'une histoire d'intégration universelle, qui souligne le fait que les hommes et femmes qui arrivent ne sont pas une feuille vierge mais un palimpseste ; il y a toute une nouvelle histoire à réécrire sur des souvenirs, des chapitres vécus qu'on se remémore pour apaiser les chagrins. A cet égard, les passages dans lesquels Naja se souvient de l'Algérie sont très beaux, sensuels et émouvants. Trouver sa place dans un nouveau pays est un défi au long cours.
On assiste aussi dans ce roman à l'abandon progressif et à la dégradation des cités HLM de banlieue, aux difficultés pour trouver un emploi... La dimension sociétale du roman est très fine et juste. Si cela contribue fortement à la réussite de Soleil amer, il faut aussi rendre hommage à la qualité de l'écriture de Lilia Hassaine, qui est à son image : intelligente, délicate et élégante. Il se dégage une mélancolie poétique qui nous rend très proches de ses personnages, en particulier de Naja.
Avec ce très beau deuxième roman, la journaliste et chroniqueuse démontre qu'elle est aussi une écrivaine à part entière.