Ce cinquantième anniversaire du plus grand festival de bande dessinée au monde aura été entaché par la polémique autour de l’exposition de Bastien Vivès qui a finalement été annulée. On ne reviendra pas sur les propos outranciers et condamnés a posteriori par l’auteur lui-même, l'ensemble des médias ayant largement relayé l'affaire. Toutefois, il est regrettable de voir resurgir la censure quand le débat et le dialogue sont entravés. Le sujet qui fâche étant clos, parlons enfin des œuvres des auteurs présents.
Et le jury a créé la surprise cette année en décernant le Fauve d’or du meilleur album au Suisse Martin Panchaud pour La couleur des choses. Très originale, cette bande dessinée expérimentale met en scène des personnages représentés par des formes géométriques sans volume. Cercles et pictogrammes de couleur se succèdent dans ce thriller conceptuel déroutant qui permet aux éditions Ça et là de remporter ce prix pour la deuxième fois consécutive, après Écoute, jolie Marcia du Brésilien Marcello Quintanilha.
Quant à l’archipel nippon, sa place prépondérante au sein du festival ne se dément pas cette année, en témoigne l'exposition événement consacrée au manga à succès L’attaque des titans. Son auteur, Hajime Isayama, repart avec la statuette du Fauve spécial de la 50e édition. Un Fauve d’honneur a également été remis à son compatriote, le maître du manga horrifique Junji Itō, dont nous avons plébiscité ici plusieurs albums : Frankenstein chez Delcourt ; Les chefs-d’œuvre de Junji Itō tomes 1 et 2 et Zone fantôme chez Mangetsu qui poursuit une belle anthologie des travaux du mangaka, à l’heure où Netflix diffuse une série très attendue adaptée de ses albums. Lui aussi fait l’objet d’une exposition, soutenue par une musique inquiétante en écho à l’étrangeté de son univers. Une séance de dédicaces, précédée d’une masterclass, a eu lieu au Théâtre d’Angoulême, devant une salle comble et quelques cosplayers fans de l’artiste.
Au cœur de ce palmarès, notre coup de cœur revient à La rainette en automne (et plus encore…) de Linnea Sterte. Publié aux Éditions de la cerise, ce conte poétique mené comme un road-trip contemplatif à travers champs déploie avec délicatesse son univers minimaliste et philosophique autour de la rencontre d’une jeune grenouille et de deux crapauds vagabonds. Le prix Fauve Révélation vient récompenser la bédéaste suédoise pour ce bel album imprégné par la culture graphique nippone.
Enfin, impossible de conclure cette 50e édition sans citer Riad Sattouf. Après avoir décroché en 2015 le Fauve d’or du meilleur album pour le tome 1 de L’arabe du futur, le bédéaste a reçu sans grande surprise la récompense suprême avec le Grand Prix du Festival d’Angoulême, couronnant l’ensemble de son œuvre. Cette série qui a pris fin avec un sixième et ultime tome est une fresque autobiographique relatant son enfance et son adolescence entre la Libye, la Syrie et la France. Courant sur trois décennies, le récit est émaillé de nombreux thèmes tels que la double culture, le patriarcat, les religions, la famille ainsi que le parcours artistique de l’auteur. Succès phénoménal de librairie traduit dans vingt-trois langues, L’arabe du futur, avec ses trois millions d’albums déjà vendus, fera certainement date dans le paysage de la bande dessinée.