Comme son titre l'indique, ce livre rassemble dix-neuf nouvelles de Frank Herbert parues entre 1952 et 1962. On y trouvera ainsi les tout premiers textes de science-fiction jamais publiés par l'auteur de Dune. Si l'on peut difficilement les qualifier d'œuvres de jeunesse, puisqu'il avait déjà trente-deux ans en 1952, les premières témoignent tout de même d'un certain manque de maîtrise et d'expérience, avec des dialogues peu naturels, des personnages brossés à trop gros traits et des chutes pas toujours satisfaisantes.
Le recueil s'ouvre avec la toute première incursion de Herbert dans le monde de la SF. Vous cherchez quelque chose ? voit son protagoniste découvrir grâce à l'hypnose que ce qu'il croit être la réalité n'est en fait qu'une façade derrière laquelle se cachent des choses dont personne n'a idée. C'est dickien en diable, et c'est amusant de se dire que Philip K. Dick a lui aussi commencé à être publié en 1952. Un peu plus loin, La course du rat (1956) m'a beaucoup fait penser à Isaac Asimov, avec son enquête rigolote sur des événements incompréhensibles menée par un détective à la Sherlock Holmes. En fait, l'humour est présent de manière assez inattendue dans plusieurs textes, le plus gouleyant étant sans doute Tracer son sillon (1958), avec son histoire de colons sur la frontière (spatiale, cela va de soi) racontée par un narrateur truculent.
Dans l'ensemble, ces nouvelles des années 1950 accusent tout de même pas mal leur âge, en particulier pour ce qui est du rôle des femmes, et la plupart ne sont pas particulièrement mémorables. Cessez-le-feu (1958) en constitue un bon exemple. Elle offre une idée de base pas dénuée d'intérêt (en plein conflit mondial, un caporal perdu au fin fond de la banquise a une idée de génie pour mettre fin à toutes les guerres), mais Herbert passe trop de temps sur les aspects techniques de sa trouvaille et pas assez sur le reste pour que les déboires du protagoniste suscitent de l'empathie chez le lecteur. Le tout s'achève sur une chute qui tombe plutôt à plat.
D'un point de vue historique, c'est en revanche fascinant de voir apparaître progressivement les thèmes de prédilection de l'auteur, texte après texte. La psychologie et la mémoire collective sont présentes dès les tout premiers, mais on le voit ensuite développer ses idées sur la politique et la religion. Une étape significative de ce développement est constituée par les quatre textes ayant pour héros Lewis Orne, parus à l'origine entre 1958 et 1960 avant d'être réunis au sein du roman Et l'homme créa un dieu, pseudo-prélude à Dune avec lequel il n'a en réalité rien à voir. Sur ces quatre nouvelles, les trois premières (La voie de la sagesse, Chaînon manquant et Opération meule de foin) sont des sortes d'enquêtes anthropologiques bien conçues (malgré une belle poussée de misogynie dans la troisième), tandis que la dernière, Les prêtres du psi, adopte des accents plus mystiques et philosophiques qui la rendent nettement plus lourdingue (dommage que ce soit aussi la plus longue du lot).
Dans les derniers textes du recueil, on lira avec curiosité Essayez de vous souvenir, une nouvelle dont le pitch de départ est plus ou moins le même que celui de L'histoire de ta vie de Ted Chiang (mais traité de manière radicalement différente, bien sûr), et avec moins de curiosité B.E.U.A.R.K., récit qui se veut drôle mais qui s'avère tellement pétri de misogynie qu'il m'a donné envie de jeter le livre par la fenêtre.
Dans l'ensemble, la lecture de ces nouvelles de Frank Herbert me semble à réserver aux aficionados de Dune, qui seront ravis d'y retrouver les idées fixes de l'auteur, ainsi qu'à un lectorat que les tares de « l'âge d'or de la SF » ne dérangent pas trop. Je ne garantis pas que les autres y trouveront leur compte.