Les Chroniques de l'Imaginaire

Solaris (Solaris - 225)

Lire Solaris est en général un plaisir pour moi, mais je me suis régalée quasiment de la première à la dernière page de ce numéro. Le volet Fictions, notamment, est d'une grande richesse, et d'une grande cohérence globale, avec tous ces enfants personnages principaux ou secondaires importants, et ces atmosphères post-catastrophe qui ne portent pas au désespoir pour autant.

L'auberge au bord du monde, de Christian Léourier, est la gagnante du Prix Joël-Champetier : Eileen tient la dernière auberge avant le Pont, depuis des années sans nombre, et pour la plus grande part sans mémoire. Toutefois, elle voudrait ne pas oublier Karan, l'homme qui a passé un an avec elle avant de traverser, et qu'elle aimait. Mais un jour un autre étranger différent des autres arrive à l'auberge.
Je n'ai bien sûr pas lu les concurrentes de cette nouvelle pour le Prix, mais celle-ci est vraiment excellente, et je ne suis pas surprise qu'elle ait été primée. Qu'il s'agisse des personnages, de l'atmosphère ou de l'univers esquissé, tout est cohérent et crédible.

Un silence, vu de loin, d'Alain Ducharme : après une jachère de cent ans, ils retournent à leur village. Mais comment se fait-il qu'il y ait des gens, et des cabanes, là où il devrait n'y avoir personne ?
L'idée est originale, les personnages et leurs relations crédibles, j'aurais souhaité en savoir plus sur l'univers à peine esquissé en arrière-plan, mais le format court ne pouvait sans doute que me laisser sur cette faim-là.

Bal(l)ade en dix temps, de Dave Côté et Pascal Raud : Vivi a cinq ans et vit seule avec sa mère, Isabelle. C'est une enfant heureuse, avec un talent particulier.
L'une de mes nouvelles préférées, avec des personnages qui sont tous crédibles, son ambiance d'urban fantasy décalée, qui m'a évoqué de loin Le clan des fées, d'Elizabeth Scarborough, et avec le thème des couples de parents de même sexe joliment esquissé. La touche d'humour en plus est la cerise sur le gâteau.

Faux-bourdon, de Claude Mercier : Julien est spécial, c'est sa mère qui le dit.
Cette nouvelle est drôle et plaisante à lire, même si le lecteur comprend très vite de quoi il s'agit.

Le rite du guérisseur, de Josée Bérubé : même si elle a arrêté son apprentissage auprès de lui pour partir avec l'homme qu'elle aime, Tshiuetin veut que ce soit Mishtashipu qui l'accompagne pour son dernier voyage.
J'ai trouvé cette nouvelle superbe, et j'en ai savouré chaque mot. Tout est splendide, les personnages, les paysages, et l'esquisse d'un univers apaisé après une catastrophe. Vraiment une grande réussite de cette écrivaine dont j'ai toujours plaisir à lire les nouvelles.

La femme aux semelles de temps, d'Elisabeth Vonarburg : distraite en sortant de faire ses courses, Viviane prend le mauvais tournant, et se retrouve dans un voisinage inattendu, mais bienvenu, car elle y rencontre Toni la cordonnière, au moment précis où ses semelles l'abandonnaient.
Encore une passionnante nouvelle, qui dépeint une sorte d'utopie post-catastrophe, humaniste et crédible de façon encourageante, avec des échos à la fois internes à l'oeuvre d'Elisabeth Vonarburg, nommément Tyranaël, et au mythe du Juif Errant. Tout cela bien sûr dans le style inimitable de l'autrice, avec ce goût des histoires qui bifurquent, ondoient et qui peuvent délier autant que lier, suivant qui les raconte, et qui les écoute.

Mario Tessier consacre ses Carnets du Futurible, intitulés ici La fin des insectes, ou le monde silencieux de demain, en référence assumée au Printemps silencieux, de Rachel Carson, à l'inquiétante diminution du nombre d'insectes, et ses conséquences, mais aussi bien sûr à la façon dont ils sont représentés, tant en littérature qu'à l'écran.

Claude Janelle, dans cet extrait du Daliaf (qui s'épelle "Dictionnaire des Auteurs des Littératures de l'Imaginaire en Amérique Française"), chronique Le ravissement, d'Andrée A. Michaud, paru en 2001. Même si je doute d'apprécier personnellement ce roman, il semble constituer un mélange intrigant de polar et de fantastique, et c'est sans nul doute une bonne idée d'attirer sur lui l'attention d'amateurs et d'amatrices dudit mélange.

Parmi les critiques, tant des oeuvres parues de l'autre côté de l'Atlantique que du nôtre, je suis sûre que j'aimerais lire Apocalypse Nord, l'anthologie établie par Mathieu Villeneuve, Plasmas, de Céline Minard, dont j'avais lu et aimé Faillir être flingué, Ginkoo-Biloba, de Caza, parce que je suis curieuse de son écriture après avoir été nourrie de ses dessins depuis des décennies, et Meute, de Karine Renneberg, parce que le personnage du loup-garou m'intéresse. Je ne doute pas que chacun.e de vous trouverait d'autres pistes de lecture intéressantes parmi les oeuvres critiquées ici !