Sous nos latitudes sombres est un recueil de vingt-et-une nouvelles fantastiques. Comme son titre l'indique, l'ambiance est à la noirceur. Les protagonistes s'y enfoncent parfois, s'en extirpent d'autres fois. D'autres fois encore, la noirceur est en eux-mêmes.
Le style d'écriture de Pascal Malosse est très plaisant. Il sait être précis et efficace mais il se rapproche aussi à certains égards de la prose plus délicate et descriptive des maîtres de l'horreur gothique du XIXe siècle. On passe tour à tour du conte à la dystopie, de l'histoire de fantôme un peu classique au récit onirique.
Certaines thématiques se retrouvent en plusieurs points du recueil. Impossible par exemple de passer à côté du fait que l'auteur a vécu en Belgique. L'action s'y passe parfois. Ou il est fait référence au pays. Cependant, la Belgique n'est pas le seul pays représenté par ces latitudes sombres, l'Allemagne ou l'Irlande y figurant également. Le caractère urbain, la mer, la violence des éléments, le colonialisme, l'art sont tout autant de thèmes abordés.
Voyage quotidien est ma nouvelle préférée du recueil. On y suit une aide-soignante dans son trajet matinal en métro, qui redoute tout autant qu'elle trépigne de se replonger dans un énigmatique livre jaune. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser au Roi en jaune de Robert W. Chambers, sans doute en raison de la couleur de l'ouvrage. Heureusement, le dénouement semble bien plus heureux pour la protagoniste de Malosse que pour ceux de Chambers.
Toutefois, l'auteur sait lui aussi malmener ses personnages. Le héros du Peuple des Abysses ne croise pas la route d'un livre mais d'un mystérieux artefact. Dans le Moulin charnel, un adolescent apprend à ses dépens qu'espionner ses voisins n'est pas anodin. Plus méfiant, le vieillard de Morsures s'en tirera à meilleur compte, face aux assauts d'une étrange bête. Un animal bien particulier, c'est aussi ce que rencontre le concierge du zoo de Berlin, à la fin de la seconde guerre mondiale, dans Tiergarten. Dans Sangs purs comme dans la nouvelle la suivante, Le baptême, les mauvaises actions se paient dans le sang et la souffrance.
La petite fille de La rivière voûtée est en butte avec un monde dans lequel elle n'a plus sa place. La femme entre deux âges de La fonctionnaire est confrontée à une problématique similaire, bien que dans un cadre et avec une issue totalement différents. J'ai apprécié l'ironie douce de sa situation et le caractère décalé de la conclusion. Celle du Puits des âmes est plus glaçante, les dangers auxquels s'expose le protagoniste dans le cadre de son travail étant bien moins humains que ceux rencontrés par la fonctionnaire. De même, le personnage principal du Niveau de la Mer est un être broyé par le système, abruti par son travail, qui va faire une rencontre bien périlleuse. La ligne de flottaison nous emmène à la rencontre d'un autre personnage écrasé par les obligations, dans un contexte de surcroît totalitaire.
Les accents maritimes de ces deux textes se retrouvent dans La traversée, un récit bref à l'atmosphère brumeuse à souhait, et dans Départs. Cette nouvelle, dans laquelle un protagoniste malmené par la vie remarque soudain l'effervescence entourant la venue d'un marin, fait comme écho à Voyage quotidien. Dans la cargaison aussi, on vogue sur les flots, cette fois en compagnie de retraités n'hésitant pas à faire de la contrebande pour arrondir les fins de mois.
La muse égarée est le récit court et efficace d'une femme à la poursuite de son aimée. La réflexion et La dame de Verdemont ont tout du scénario de film d'horreur, l'un faisant apparaître des monstres dans des reflets, l'autre en conjurant une vieille dame dérangée dans un village isolé à l'abandon. Le mausolée de tous les arts est lui le récit d'un palais, œuvre d'art totale, dont la mort du propriétaire interroge l'avenir.
Enfin, dans Pluie sans fin et l'Arbre du Roi, le colonialisme et ses crimes semblent rattraper les personnages.
Dans l'ensemble, ce sont les nouvelles les plus oniriques ou celles dont la noirceur était d'origine surnaturelle et quelque peu diffuse que j'ai préférées ; bien davantage que les nouvelles puisant leur obscurité dans les tréfonds de l'âme humaine. L'avantage de ce recueil est de pouvoir convenir aux goûts de différents types de lecteurs, pour peu qu'ils apprécient le fantastique et les nouvelles bien sûr.