Madhav Tripathi travaille dans la haute fonction publique en Inde. Il mène la belle vie dans le petit monde de la grande bourgeoisie indienne, le confort matériel dont il jouit compensant sa totale absence d'opinion et de credo. Sa petite existence bien réglée bascule le jour où un officier de police zélé l'arrête lors d'un contrôle routier de routine. Madhav se retrouve alors plongé dans un véritable cauchemar, traqué sans relâche par des ennemis innombrables et inconnus qui n'ont qu'un seul but : son anéantissement.
La quatrième de couverture de La persécution de Madhav Tripathi ose des comparaisons avec les œuvres de Franz Kafka et Boris Vian. Du premier, on retrouvera le personnage principal persécuté par des adversaires aux motivations absconses, englué dans un système aux conventions incompréhensibles. La grosse différence avec K. et les autres héros de l'écrivain tchèque, c'est que Madhav n'est pas une victime du système, bien au contraire, il en profite. Il est confortablement installé dans la position du dominant au début du récit, et c'est précisément la perte de cette position et des certitudes qui l'accompagnaient qui emplit notre protagoniste de doutes et de paranoïa.
L'intrigue développée par Aditya Sudarshan a des accents de lutte des classes, opposant comme elle le fait Madhav et ses amis bourgeois aux habitants défavorisés des bidonvilles. Aucun des deux camps ne sort particulièrement grandi de cet affrontement : les amis de Madhav sont une série de caricatures délicieusement féroces (l'artiste bien-pensant, le faux révolté, l'hédoniste indifférent, etc.) tandis que les masses prolétaires sont dignes des zombies d'une mauvaise série B dans leur violence et leur absence d'individualité. En ce sens, j'ai trouvé que le livre donnait une perspective assez pessimiste, voire carrément nihiliste, des luttes sociales dans l'Inde d'aujourd'hui, mais il me manque peut-être des clefs de lecture pour l'interpréter correctement.
Le côté Boris Vian transparaît quant à lui dans une atmosphère doucement fantastique et fantasque. Si la plume d'Aditya Sudarshan semble de prime abord résolument réaliste, on comprend très vite qu'il n'hésitera pas à prendre des libertés avec la vraisemblance et la logique. Les chapitres s'enchaînent sans rime ni raison et les personnages ont un comportement parfois incompréhensible, le tout donnant au récit l'allure d'un rêve enfiévré dont on se réveille en se demandant ce qui vient de se passer exactement. Ce n'est pas forcément négatif, surtout qu'il s'agit visiblement de ce que souhaitait l'auteur, mais c'est souvent déroutant.
Et « déroutant » est le mot qui résume le mieux mon avis sur La persécution de Madhav Tripathi. Je l'ai fini sans déplaisir, mais j'ai l'impression d'être un peu passé à côté du fond du propos de l'auteur. Peut-être que dans cinquante ou cent ans, ce livre sera réédité avec un dossier pédagogique et des notes explicatives qui le rendront plus clair, et ce ne sera pas une mauvaise chose pour le francophone moyen.