Les Chroniques de l'Imaginaire

Le tournoi des preux (Le chevalier aux Epines - 1) - Jaworski, Jean-Philippe

Le chevalier Aedan de Vaumacel est détesté d'une bonne partie de la noblesse de Bromael pour avoir failli à comparaître au procès de la duchesse Audéarde pour adultère, alors même qu'il était accusé d'être son complice et amant. Lors de son retour, un an plus tard, il réussit à exposer la validité de la raison de son absence à l'un des fils de la duchesse. Celui-ci, quoique partiellement convaincu, mais conscient de sa valeur, l'invite à participer, avec lui et ses compagnons, à un pas d'armes visant à défendre l'honneur et les couleurs de la duchesse répudiée, au tournoi de Lyndinas.

Toutefois, Vaumacel est pour lors engagé dans sa propre quête : celle de retrouver, et mettre hors d'état de nuire si nécessaire, le ravisseur inconnu d'enfants disparus dans la contrée.

Le roman est conté d'une multitude de points de vue (dont certains très près du sol), ce qui lui donne une diversité de tons et de niveaux de langue qui en facilite la lecture. En effet, le langage particulièrement soutenu et détaillé utilisé pour donner voix au héros et aux autres chevaliers pourrait lasser à la longue. Mis ainsi en contraste avec la gouaille d'un aventurier ou la grossièreté sans complexe d'un reître, il participe à composer la fresque d'un univers chatoyant, dans lequel Ciudalia, la cité au centre de Gagner la guerre, ne semble jouer, pour l'instant, qu'un rôle d'arrière-plan. Parfois, j'ai eu l'impression que ce parler excessivement chevaleresque et courtois était vu du point de vue d'un Benvenuto qui en rirait sous cape, et que Jaworski visait ici un objectif proche de celui de Cervantes avec son Don Quichotte, qui était de se moquer des romans de chevalerie. Mais peut-être suis-je exagérément soupçonneuse...

L'action met du temps à se mettre en place, entre les deux fils d'intrigue qui pendant longtemps n'ont que le chevalier de Vaumacel en commun, et le tournoi éponyme, s'il est très longuement et très précisément décrit, ne prend place qu'à la toute fin. On n'en connaîtra d'ailleurs pas le résultat une fois tournée la dernière page. L'auteur introduit la dimension surnaturelle par petites touches, qui s'accentuent de façon très picturale au fur et à mesure de l'avancée du récit. C'est très habilement fait, et intrigant, d'autant que j'avais regretté avoir vu aussi peu les elfes dans Gagner la guerre. On aura compris de ce qui précède que le rythme du roman est lent : c'est certes très beau, mais c'est par moment très long.

Les personnages sont bien différenciés, si on peut les répartir en plusieurs groupes, celui des manants, notamment les parents des enfants disparus, celui des chevaliers, qui est à la fois le plus nombreux et le plus varié, celui des religieux, avec un aperçu des différents ordres, et enfin celui des "autres", créatures non-humaines ou plus ou moins surnaturelles. On pourrait presque constituer les femmes en un groupe différent, s'il y avait le moindre point commun entre une paysanne et la dame d'atours Héluise, pour ne rien dire de la duchesse répudiée. Des personnages comme le Grand Bâtard, le jeune chevalier Yvorin de Quéant et Vaumacel lui-même présentent des visages différents de la chevalerie, celui du soudard brutal, celui de l'idéaliste qui croit de tout son cœur aux idéaux courtois, et enfin ce mélange complexe et encore peu défini qu'est Vaumacel, capable à la fois de traits chevaleresques traditionnels, comme la haute valeur accordée à l'honneur, et d'aspects plus réalistes, qui lui permettent de communiquer avec un franc bandit comme le Molosse.

En somme, Jaworski réussit en fanfare ce retour au Vieux-Royaume, un univers qu'il avait abandonné dans Rois du monde. Ce roman imposant, divisé en trois tomes dont le deuxième doit sortir en début d'été, confirme s'il en était besoin sa qualité de grand écrivain de fantasy français.