Auréolé du Grand prix du roman de l’Académie française 2022 pour Le mage du Kremlin, qui disséquait l’ascension au pouvoir de Vladimir Poutine, Giuliano da Empoli nous propose ici une analyse de la montée des populismes en Europe et dans le monde. Il met en lumière le rôle clé des stratèges qui utilisent les réseaux sociaux et les techniques de marketing digital pour influencer l’opinion publique et favoriser l’élection de leaders nationalistes. Dans cet essai politique structuré en quatre chapitres, l’auteur présente les méthodes de quatre “ingénieurs du chaos”, qui exploitent la colère et le mécontentement des citoyens états-uniens, européens et israéliens pour créer une forte polarisation politique.
Le premier d’entre eux, Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump, est l’un des principaux artisans de son élection en 2016. A l’origine d’un site ultra-conservateur diffusant des fake news et des théories du complot, il a également fondé Cambridge Analytica, qui analyse les profils des électeurs à des fins illégales de manipulation psychologique. Il a ensuite tenté de rallier plusieurs partis d’extrême droite en Europe, comme le Rassemblement national en France ou la Ligue du Nord en Italie.
En Grande-Bretagne, Dominic Cummings, directeur de la campagne pro Brexit en 2016, a ciblé les électeurs indécis et mécontents en leur promettant des gains financiers, en agitant le spectre de l’immigration et en mettant en place une stratégie de communication basée sur l’attachement des Britanniques à leur souveraineté. Il a ensuite été le conseiller spécial du Premier ministre Boris Johnson, qu’il a poussé à déclencher des élections anticipées pour obtenir une majorité parlementaire favorable au Brexit.
Dans la péninsule italienne, Gianroberto Casaleggio, le fondateur du parti antisystème Mouvement 5 étoiles, a créé une plateforme en ligne permettant aux militants et aux sympathisants du mouvement de participer aux décisions politiques et de voter pour les candidats et les propositions de loi. Il a aussi instrumentalisé les réseaux sociaux pour diffuser des messages populistes et démagogiques, comme la promesse d’un revenu universel ou la dénonciation de la corruption. Il est ainsi parvenu à faire élire son leader, Beppe Grillo, en tant que maire de Rome en 2016, puis à former un gouvernement avec la Ligue du Nord en 2018.
Enfin, l’auteur s’intéresse à Arthur Finkelstein, ex-conseiller politique des présidents républicains Ronald Reagan et George W. Bush aux Etats-Unis. Il a conseillé des partis conservateurs et nationalistes, comme le Likoud en Israël et le Fidesz en Hongrie en aidant Viktor Orban à se maintenir au pouvoir depuis 2010, en lui faisant adopter un discours anti-immigration, anti-islam et anti-Union européenne.
Dans cet essai politique, Giuliano da Empoli fait ainsi la démonstration des dangers que peut constituer l’instrumentalisation des réseaux sociaux et de la data analyse au sein de démocraties déjà vacillantes. Les enjeux, en termes de stabilité politique des Etats et de cohésion sociale, sont considérables. Pour alléger ce sombre tableau, l’auteur conclut toutefois en proposant des pistes permettant de réaffirmer les valeurs démocratiques européennes en s’appuyant notamment sur les domaines de l’éducation et de la culture. Un ouvrage à lire impérativement avant nos prochaines élections.