Les Chroniques de l'Imaginaire

Dangereuse - Hart, Josephine

À cinquante ans, Roger, a tout ce que peut désirer le commun des mortels : une brillante carrière en tant que médecin, une famille unie et parfaite avec une femme belle et intelligente, deux enfants majeurs et indépendants, de l’argent, une situation politique prometteuse et des relations plutôt cordiales avec son beau-père. En somme, tout pour être heureux. 

Mais en réalité, il n’a toujours fait qu’interpréter les rôles qu’on attendait de lui : être un homme fiable, compétent, ambitieux et fier de son travail. Être un mari fidèle et un père modèle qui adopte une attitude aimante et responsable vis-à-vis de ses enfants pour réussir à les mener en toute sécurité jusqu’à l’âge adulte.

Pourtant, il désespère de cette vie sans heurt, dépourvue de magie et dénuée de passion. Il réalise que les années et les décennies passent avec la sensation désagréable de n’avoir toujours pas réellement commencé à vivre. 

Jusqu'à ce fameux soir où il fait la connaissance d'Anna Barton, la fiancée que son fils Martyn présente lors d’un dîner en famille. Roger désire instantanément cette jeune femme énigmatique, dont la froideur semble masquer de terribles blessures du passé. Entre eux se noue alors une relation, secrète et dévorante, un jeu consenti avec le feu, qui les précipite dans un chaos inexorable, digne des plus grandes tragédies grecques…

Dans le même genre, j’avais lu le roman Passion Simple d’Annie Ernaux (paru en 1992) dont la trame avait déjà pour thème central la passion insatiable et destructrice qui mène parfois l’amour aux frontières de la folie. 

Un an auparavant, en 1991 donc, l’écrivaine irlandaise Josephine Hart offrait sa version avec un supplément d’adultère qui vient bouleverser le cours de la vie sereinement menée par un « couple civilisé », pour reprendre les propos du personnage principal.

Une vie sans éclat de voix, ni dispute, finement modelée par des ambitions dans des domaines importants et respectés. Une vie aux allures de routine sagement organisée, qui ne semble alors réclamer « qu’un peu d’intelligence et de volonté », telle un mécanisme aux rouages parfaitement huilés par le biais d’astuces et de formules inlassablement et efficacement répétées.

Que demander de plus pour être pleinement heureux ? Si ce n’est peut-être la sensation fondamentale d’être vivant et enfin en adéquation avec des désirs que l’on sent tragiquement devenir de plus en plus sombres, scabreux voire moralement illicites. 

Dès la première rencontre avec Anna, on assiste, impuissant, en l’espace d’un instant, à la déchéance extrêmement rapide d’un homme, d’une famille et d’une vie toute entière. Un homme qui, dans un excès de confiance, croyait à tort maîtriser la situation, tout en étant paradoxalement conscient d’avoir signé l’arrêt de mort de tout ce qu’il était et de tout ce qu’il avait construit. 

On sent poindre le drame, le point de basculement, le moment où la passion se transforme en obsession. Une obsession qui n’a rien de plaisant tant elle prend possession de sa proie. Le contact physique avec Anna lui devient indispensable et Roger ne supporte plus son absence, parfois même alors que le plaisir devient anecdotique. Il est alors rongé par la peur de ne plus la revoir, de la perdre et tolère difficilement de devoir la partager.

Avec une écriture percutante, cette intrigue témoigne d’une construction originale pour l’époque, dans la manière d’inverser les rôles, où pour une fois la femme est loin d’être reléguée sciemment au rang d’objet soumis et docile. Et si le personnage d’Anna donne pourtant l’impression de l’être parfois, c’est là que réside toute la subtilité et la malice, perfide et dramatique, de cette histoire. 

Car en vérité, derrière son apparente et complaisante obéissance, c’est elle qui dicte les règles. On comprend progressivement qu’elle a déjà tout vécu et qu’elle n’a plus rien à perdre. Et il n’y a « rien de plus dangereux que quelqu’un de meurtri, car il sait qu’il peut survivre ».

Loin d’être une simple histoire de tentations, de perversions, de faiblesses de la chair, de manipulations ou d’éternelles obsessions érotiques, c’est avant tout une représentation parfaitement menée et détaillée de ce qu’occasionne la perte totale de contrôle et de repères, avec au final très peu de place pour les regrets ou la culpabilité.

J’ai à présent vivement envie de regarder la version portée à l’écran par Louis Malle en 1992, sous le titre Fatale, avec Jeremy Irons et Juliette Binoche. Un rôle pour lequel elle fut d’ailleurs nommée au César de la Meilleure Actrice la même année.