Pour ma deuxième rencontre avec Hemingway, je ne suis pas déçue du voyage ! Celui-ci m’a d’emblée emmenée, au cœur de la nuit, faire la tournée des bars parisiens avec son héros, Jake Barnes, journaliste et vétéran américain. À ses côtés, la frivole Lady Ashley, lancée dans une course effrénée d’amants en vue d’un potentiel futur époux. Place de choix que se disputeraient bien leurs deux autres compagnons d’aventure, Robert Cohn et Michael Campbell.
Mais, pas le temps de niaiser, je dois d’abord m’accoutumer à ce qui semble être leur gymnastique routinière : celle du levé de coude, accompagné le plus souvent de quelques cigares. Whisky-soda, bouteilles de vin, fioles d’eau-de-vie, magnums de champagne… On s’enivre, on mange, on danse, on rit facilement comme pour oublier les affres de la Première Guerre Mondiale.
Pas le temps de décuver ensuite, me voilà cette fois embarquée sur les routes du Sud-Ouest de la France pour traverser les Pyrénées à la rencontre de vrais toreros et aficionados. Chaque étape est propice à tromper l’ennui par une quête d’un hédonisme insatiable. Hendaye, Saint-Sébastien, Burguete, Pampelune… Chaque nom de ville est une opportunité, une explosion d’images et de couleurs, tant à travers les dialogues que parfois dans de simples descriptions.
Entourée de sa troupe d’amis, inspirés de personnages réels de la vie de l’auteur, me voilà ainsi parée pour jouir avec eux des plaisirs qu’offre l’instant présent. Pourtant, j’ai eu parfois du mal à saisir les contours flous, si ce n’est mouvants, de ces personnalités tantôt exubérantes et enjouées, tantôt sombres et dépressives. Évidemment que leurs rapports oscillent en permanence puisqu’en toile de fond semble se jouer un combat entre solitude, amour déchu et amitiés toxiques.
On peut regarder d’un œil sceptique cette ode aux paradis artificiels, cette génération que Gertrude Stein qualifia de « perdue », ces désillusions enfouies dans des blessures tant psychiques que physiques pour certains d’entre eux. Mais, et c’est là tout l’enjeu de cette nouvelle édition, il nous faut comprendre et se réapproprier l’œuvre d’Hemingway sans pour autant la dénaturer, ni la mésinterpréter.
C’est d’ailleurs ce que réussit brillamment à faire l’autrice française Julia Kerninon, dont j’avais lu le roman Liv Maria et qui signe ici une préface inédite. Une dizaine de pages où une fois encore elle trouve le ton et les mots justes pour aborder ce grand classique de la littérature américaine. Elle nous donne ainsi les clés en main pour accéder à l’univers enivrant et au style imagé et spontané de l’écriture d’Hemingway, tout en replaçant dans le contexte de l’époque à la fois la trame de l’histoire et celle en lien avec la vie trépidante de l’auteur.
Une préface dont je pense avoir annoté quasiment l’intégralité tant elle est belle, viscéralement poétique, pertinente et très instructive. Bref, en un mot : passionnante ! Et en toute honnêteté, j’aurai souhaité que certains enseignants nous présentent, avec cette apparente facilité, ce que peut être un Prix Nobel de littérature ! Tant pour l’œuvre, que l’homme qu’il y a derrière.