Les Chroniques de l'Imaginaire

Journal d'une invasion, les cahiers Ukrainiens - Igort

Ce 25 février 2022, alors qu'il prépare ses enfants pour les emmener à l'école, Igort entend sa femme Galya prononcer ces trois mots : Aïe aïe aïe. Les Russes viennent d'envahir l'Ukraine au mépris du droit international. Igort est doublement touché par cette attaque, sa femme est ukrainienne et il a vécu quelques années là-bas. Dès cet instant, les appels venant de là-bas se multiplient, de la famille, de proches. Chacun raconte sa façon de vivre cette guerre, la peur des bombes, la terreur des soldats russes qui se comportent comme des barbares, les massacres, les viols et les pillages. Igort décide alors de raconter cela sous la forme d'un journal, recueillant les témoignages des victimes de l'invasion pour nous informer, nous avertir de ce qui se passe pour ne pas qu'on puisse dire qu'on ne savait pas.

L'auteur est italien, marié à une Ukrainienne, et pourrait passer pour partial dans son journal, mais il doit aussi son prénom à la passion que ses parents vouaient à la Russie et à leurs auteurs. Ce récit est donc celui d'un homme touché de près et déçu, qui ne comprend pas comment en 2022 on peut encore faire la guerre et surtout de cette manière. Car il ne faut pas se leurrer, ce qu'il ressort de ce récit-témoignage, c'est que les Russes se sont trompés de siècle et font la guerre comme on la faisait il y a longtemps. Ils se comportent comme des barbares, violant, tuant, méprisant toute vie humaine. C'est une armée de pillards qui ne respectent rien à part leur pays et leur chef. Ce chef, bouffi d'orgueil, qui reprend les codes de l'Empire russe et du régime soviétique, méprisant tout ce qui n'est pas russe. Comme aux pires heures de l'URSS, il utilise les populations des régions éloignées de Moscou pour servir de chair à canon, mentant sans vergogne à sa population et au monde entier pour justifier cette guerre. Cet homme formé par le KGB/FSB reprend les pires méthodes du système soviétique pour tenir d'une main de fer son peuple, pas pour la gloire de son pays comme il le prétend mais juste pour la sienne. Igort nous raconte aussi le destin de quelques soldats russes, l'un refusant de continuer à se battre, d'autres n'hésitant pas à commettre les pires atrocités. Des destins différents mais qui finissent de la même façon.

L'auteur revient aussi sur le côté sombre du régiment Azov, sur des exactions commises dans le Dombass en 2014, sur le sentiment nationaliste qui a parfois été gangrené par des ultras nationalistes. C'est d'ailleurs assez drôle de constater que le but de cette invasion, outre de renverser le pouvoir, aurait été de dénazifier l'Ukraine, alors que que le groupe Wagner (proche de Poutine) utilise les codes des régiments SS et que son chef est très imprégné des idées nazies.

Ce récit est fort par ses témoignages, qui nous placent face à la réalité et permettent d'être encore plus marqué par cette tragédie. Les images des reportages, les commentaires des journalistes nous touchent quelques minutes mais on oublie rapidement pour passer à autre chose. Là, devant ces dessins, ces noms, ces villes martyrs, ces exactions, on ressort de cette lecture profondément touché et l'on garde en mémoire ce qu'il s'est passé pendant ces quatre-vingt-dix-huit jours que dure le journal. Ce ne sont plus des anonymes que l'on voit mais des gens qui ont une histoire, un passé et qui vivent dans des conditions terribles.

C'est dur, parfois atroce mais ça vous prend aux tripes, vous révolte devant la lâcheté des démocraties pendant toutes ces années. Igort en profite pour revenir sur la genèse de cette guerre, en commençant par la destruction de Grozny en Tchétchénie et les carnages commis là-bas, puis sur les différentes invasions en Géorgie, dans le Dombass et en Crimée qui ont permis à la Russie de voler des territoires à d'autres pays. Il s'agissait pourtant d'avertissements qui auraient dû nous prévenir que cet homme était prêt à tout pour servir son orgueil démesuré.

C'est instructif, beau parfois, désespérant aussi mais avec quand même un peu d'espoir en la résilience du peuple ukrainien qui ne lâchera rien devant ces hordes barbares et les crimes de guerre russes. Non seulement cette lecture est poignante mais elle m'a aussi révolté et mis en colère devant l'inertie des démocraties face à ce genre de personnage.

Pour terminer, je vais reprendre cette citation de la page 5 : "Une guerre n'est jamais qu'une saloperie de guerre. Il n'y a pas d'épopée, pas de gloire, que de la misère"...