Les Chroniques de l'Imaginaire

Aucune terre n'est promise - Tidhar, Lavie

Nichée au cœur de l'Afrique subsaharienne, dans la vallée du Grand Rift, entre le Kenya et l'Ouganda, se trouve la Palestina. Ce petit pays est né du désir des Juifs d'obtenir une terre à eux, loin des pogroms qui les accablaient au début du vingtième siècle. Renonçant à l'idée de s'établir dans la Palestine ottomane, ils ont accepté l'offre britannique d'une parcelle d'Afrique dont ils ont fait leur foyer. Leur exode hors d'Europe a fait que le Reich allemand n'a jamais exercé sa haine génocidaire sur eux.

C'est dans ce pays que rentre Lior Tirosh, auteur de polars à trois francs six sous, pour se rendre au chevet de son père mourant. La situation politique n'est pas prometteuse : la Palestina, secouée par une vague d'attentats meurtriers, s'entoure de murs pour isoler les réfugiés des pays voisins et assurer la sécurité de ses habitants. Tirosh se retrouve bien malgré lui empêtré dans ces luttes dont les instigateurs sont pour le moins mystérieux. Pour ne rien arranger, sa mémoire lui joue des tours et le monde lui apparaît souvent subtilement différent de ce qu'il devrait être, comme s'il avait basculé dans une autre réalité…

Aucune terre n'est promise commence comme une uchronie prometteuse. L'auteur précise en introduction le point de divergence par rapport à l'histoire réelle : dans notre monde, le « projet Ouganda » d'un foyer national juif en Afrique australe a été rejeté par le Congrès sioniste après l'envoi d'une expédition d'exploration dans la région en 1904. Lavie Tidhar imagine à quoi pourrait ressembler un État juif dans la savane, concept pour le moins déroutant mais auquel il parvient à donner chair à travers des descriptions efficaces, pleines de petits détails qui stimulent l'imagination. Il se montre pour le moins pessimiste en dépeignant une situation politique très proche de celle que connaît le véritable Israël : terrorisme, relations difficiles avec les pays voisins, isolationnisme matérialisé par la construction de murs… Comme s'il était impossible d'échapper réellement à l'Histoire avec un grand H.

Néanmoins, ce roman n'est absolument pas une simple uchronie. On découvre rapidement que la crise qui secoue la Palestina est liée à l'effondrement des barrières entre différents univers parallèles, dont le nôtre, malgré les efforts d'une sorte de brigade chargée d'assurer la stabilité du multivers. Outre Lior, on est ainsi amené à suivre les pas d'une agente de cette brigade, Nour, ainsi que ceux d'un fonctionnaire palestinien nommé Bloom qui est issu d'une réalité alternative. Pour distinguer ces personnages, Lavie Tidhar utilise trois personnes différentes : les passages concernant Lior sont rédigés à la troisième personne, ceux concernant Nour à la deuxième et ceux concernant Bloom, à la première. J'ai trouvé ce procédé passablement artificiel et il a rendu ma lecture plus pénible qu'elle n'aurait dû l'être, d'autant qu'il s'accompagne de fréquents va-et-vient temporels tout aussi agaçants.

La révélation de la véritable nature du récit arrive si tôt dans le livre qu'il m'a été difficile de me sentir concerné par les événements de Palestina. Puisqu'il ne s'agit que d'une réalité entre mille, quelle importance ? Et il en faudrait davantage pour faire naître un soupçon d'intérêt que les tentatives métatextuelles de clins d'œil à d'autres œuvres, voire à la vraie vie de l'auteur (Lior Tirosh a les mêmes initiales et le même job que Lavie Tidhar, entre autres points communs). Le protagoniste n'est d'ailleurs pas non plus un point fort du livre. Lior est attachant par certains aspects, comme son affection pour son fils Isaac, mais la manière dont les choses lui arrivent un peu malgré lui alors qu'il reste perpétuellement ignorant des véritables tenants et aboutissants de son aventure s'avère parfois exaspérante. Nour est quant à elle un mystère du début à la fin, et Bloom est l'archétype du salaud pour qui la fin justifie toujours les moyens : pas des gens très agréables ou intéressants à suivre.

Aucune terre n'est promise aurait été plus appréciable avec une cinquantaine ou une centaine de pages supplémentaires pour développer davantage son univers et enrichir certains passages qui en auraient eu bien besoin, comme sa conclusion excessivement rapide. Les fans de romans noirs un peu détraqués et de Philip K. Dick y trouveront peut-être leur compte, c'est moins sûr pour les fanas d'uchronies un peu plus carrées.