Les Chroniques de l'Imaginaire

Oliphant (Oliphant) - Phang, Loo Hui & Bachelier, Benjamin

Alors que la guerre de 14-18 fait rage en Europe, un groupe d'hommes menés par le célèbre capitaine Oliphant a embarqué pour l'Antarctique. L’expédition précédente, Nimrod, n'avait pas abouti comme il le souhaitait. Le revoilà à présent mieux équipé et mieux préparé pour mener à bien son objectif : traverser le continent à pied. A bord du brise-glace se côtoient des marins endurcis, un médecin, Snark le fidèle (et étrange) compagnon d'Oliphant, un riche Anglais en quête d'aventures... et Arkadi, le fils adoptif d'Oliphant. Dans ses jeunes années, Arkadi suivait partout son père en mer. Puis ce dernier l'a laissé à Londres, les expéditions devenant trop dangereuses. A cause de mauvaises fréquentations, Arkadi a commencé à se droguer et c'est aujourd'hui une silhouette spectrale qui végète dans l'antre du bateau.

La mission est difficile et sera mise en péril lorsque le brise-glace sera coincé dans la glace à la fin de l'été austral. Les hommes devront alors attendre que l'hiver et sa nuit constante passent pour que le nouvel été amorce le dégel. Puis avancer, s'encombrer de peu, faire attention aux craquements de la glace qui s'effondre devant eux. Endurer le froid, la faim, l'absence du moindre rocher pour s'abriter. Attendre de pouvoir saisir l'opportunité d'aller chercher des secours.

Cette situation extrême sur de longs mois a de quoi rendre fou. Ce que ne s'est pas privé d'illustrer Benjamin Bachelier avec ses dessins aux contours imprécis, comme si la brume du froid créait une brume dans l'esprit des hommes. La nature prend le dessus dans cet environnement désolé et émergent de l'imaginaire des éléphants et autres créatures fantasmées, des femmes mêmes, qui manquent cruellement aux mâles privés de toute présence féminine. Les couleurs froides et brutes, la raideur des traits, comme tracés par des doigts engourdis, renforcent l'atmosphère glaciale et solitaire de ces terres lointaines.

Le récit de Loo Hui Phang quant à lui reste linéaire et chronologique, il ne perd pas le lecteur qui peut ainsi suivre étape après étape les mésaventures de l'expédition d'Oliphant, qui se calque sur plusieurs points sur celle du célèbre explorateur Ernest Shackleton. Au fil des 256 pages, une proximité se crée avec chacun des personnages principaux que nous apprenons à connaître et pour lesquels nous ne pouvons qu'éprouver une sincère empathie. Une préférence pour ma part pour ce Lisboète qui a embarqué pour fuir le mari de son amante sans savoir ce qui l'attendait et qui se réfugie dans le souvenir des odeurs de morue et de crème. Le rôle d'Arkadi est le plus énigmatique. Pour lui, cet endroit n'est pas hostile. Il se fond dans le décor et se montre capable d'endurer sans souffrance. Il a conscience de la vie de la nature, même dans son apparente inertie. Il sent la glace. Il a une sensibilité qui lui permet de comprendre le monde et que la drogue, bizarrement, permettait d'atténuer pour lui donner une apparence de relative normalité.

Lire Oliphant est une expérience qui nous amène aux confins du monde et de ce qu'un humain peut mentalement endurer. C'est aussi un récit hommage pour Shackleton et pour son équipage qui, grâce à une solide fraternité doublée de volonté, a su courageusement braver les épreuves.