Au début du vingt-et-unième siècle, l'humanité s'est montrée incapable d'enrayer la crise climatique dont elle était responsable. Confrontée à la hausse des températures et du niveau des mers, ainsi qu'aux pluies acides et autres joyeusetés météorologiques, elle s'est réfugiée dans des mégalopoles protégées par de gigantesques dômes. Avec l'aide d'intelligences artificielles, la société de consommation s'est perpétuée, avec les riches au sommet et les pauvres tout au bas de l'échelle, aussi bien métaphoriquement que concrètement. Ce système semble néanmoins avoir atteint un point de crise : les matières premières se raréfient, la technologie est de moins en moins fiable, et le climat social est à l'orage. Un mouvement séditieux, l'Ivraisse, encourage la population à se révolter en faisant circuler la légende de la Cité d'ivoire, utopie réputée se trouver à l'extérieur des dômes. Mais cette ville n'est peut-être qu'une légende… et même si elle existe, elle n'a peut-être pas grand-chose à voir avec le mythe.
Ce roman prend place dans un univers dystopique bien balisé. On y retrouvera de nombreux poncifs du genre : la cité sous dôme avec une ségrégation sociale rigide ; des classes supérieures à la richesse obscène qui toisent les prolétaires qui font tourner les choses pour un salaire de misère, dans des conditions dickensiennes ; un gouvernement autoritaire soutenu par des forces de police brutales n'ayant de comptes à rendre à personne ; des terroristes qui s'efforcent de faire ouvrir les yeux aux foules soumises pour renverser l'ordre établi ; et cætera, et cætera. C'est très convenu et il faudra plisser les yeux pour trouver des choses originales là-dedans : elles sont aussi rares que bienvenues, comme la raréfaction des terres rares qui rend les engins électroniques de plus en plus difficiles à réparer.
On suit trois protagonistes dont les histoires sont amenées à s'entrecroiser. Sam est un chauffeur que la situation générale indiffère pas mal jusqu'à ce que son frère Dan, proche de l'Ivraisse, lui ouvre les yeux dessus. Maëlle, dite Quarter, est une orpheline élevée par l'État qui travaille dans la police. La certitude qu'elle a d'œuvrer pour le bien commun va être mise en pièces par les événements. Enfin, le Kid est un délinquant fini, déglingué et fier de l'être, qui mène sa barque comme il peut dans les tréfonds de la ville. Jean Krug s'efforce de le faire parler dans un registre familier qui sonne affreusement faux et devient très vite pénible ; heureusement, c'est celui des trois héros que l'on suit le moins.
Sam et Maëlle sont des héros plus classiques et leur passage d'agents plus ou moins conscients du système à électrons libres prêts à tout faire péter est crédible, même s'il n'a encore une fois rien d'original. Cette évolution est souvent le prétexte à ou le fruit de longs dialogues socratiques avec d'autres personnages, dans lesquels l'auteur assène ses convictions politiques, aussi louables et fondées soient-elles, avec la finesse d'un bulldozer. Ces passages, qui s'ajoutent aux fréquents monologues intérieurs des protagonistes, ne comptent pas parmi les plus passionnants du livre.
Heureusement, Cité d'ivoire propose également son lot de scènes d'action et de suspense. Courses-poursuites à pied et en voiture, acrobaties terrifiantes à bord d'aéronefs en plein vol, les sensations fortes sont au rendez-vous ! Le mystère qui plane autour du fonctionnement réel de la ville-dôme et celui tout aussi épais qui entoure l'utopique cité éponyme sont efficaces pour motiver les personnages à avancer et donner envie de tourner les pages.
Si vous n'en avez jamais assez des histoires de lutte contre l'injustice dans des dystopies futures, et si ça ne vous ennuie pas que les scènes d'action soient entrecoupées de longues diatribes philosophiques, Cité d'ivoire aura tout pour vous plaire.