« Sauvagine : terme de chasse ancien qui fait référence en premier aux oiseaux sauvages qui ont un goût musqué ou persillé, une note forte de gibier. Mais la sauvagine, c’est aussi l’ensemble des peaux les plus communes vendues par les chasseurs sur les grands marchés de la fourrure. »
C’est en découvrant l’existence et le sens de ce mot dans un vieux guide de contre-braconnage que Raphaëlle décide de devenir agente de protection de la faune pour défendre la vie sauvage. Elle a choisi de vivre loin des siens, dans une roulotte au cœur de la forêt du Kamouraska, à l’Est du Québec, avec pour seule compagnie sa chienne Coyote, une bâtarde fluette rescapée d’un chenil de mushers.
Un matin, Raphaëlle découvre des traces fraîches d’ours devant sa porte. Quelques jours plus tard, sa chienne disparaît. Inquiète, elle part à sa recherche et la retrouve gravement blessée par des collets illégalement posés, entourés de carcasses volontairement déposées là en signe d’appât. Folle de rage, elle laisse un message d’avertissement au braconnier.
Lorsqu’elle retrouve des empreintes d’homme devant chez elle et une peau de coyote sur son lit, elle comprend rapidement qu’elle est observée et menacée. Loin de se laisser intimider, elle saura s’entourer d’alliés précieux pour échafauder patiemment une traque vengeresse.
Dans cette nature aussi belle que féroce, où proie et prédateur se confondent, où les rôles peuvent basculer à tout moment, on pourrait se sentir à l’abri, nous, lecteurs, derrière les pages de ce roman qui mélange les codes et les ingrédients. À la fois récit engagé et militant, imprégné d’écologie et de féminisme, c’est aussi l’histoire d’une (en)quête qui prend un tournant personnel au rythme d’une chasse à l’homme digne des meilleurs thrillers !
Véritable défi d’ensauvagement, c’est une plongée haletante et captivante au milieu des bois, sans répit, où la forêt est « à temps plein, à flanc de montagnes qui s’en foutent des frontières, où tous sont sur un pied d’égalité face aux éléments, au froid, à la pluie, au vent ». On côtoie le meilleur et le pire, on retient son souffle face aux prédateurs qui rôdent, épient et franchissent les limites.
Par chance, au hasard d’un carnet égaré, on retrouve le personnage d’Anouk, l'ermite d'Encabanée, le premier volet du triptyque de Gabrielle Filteau-Chiba. À elles deux, ces écoguerrières dont la survie, au sens littéral, figuré et large, sera rudement mise à l’épreuve, pourront néanmoins compter l’une sur l’autre et puiser réconfort, force et liberté pour dépasser leurs peurs et leurs haines tenaces d’un système avilissant. Telles des sauvagines que l’on tenterait de dépouiller de leur droit de vivre librement.
J’ai déjà hâte de découvrir la suite (et fin) de cette aventure où chaque chapitre est une ode puissante à la nature. Pas une page de tournée sans que je m’arrête pour souligner une phrase, une expression, un paysage, une pensée, parfois simple, parfois subtilement amenée. Je lis, je souligne, je relis, j’annote, je reprends et c’est comme ça que j’ai avancé tout du long de cette histoire difficile à oublier tant les mots sont magnétiques.
Malgré quelques répétitions qui posent et accentuent le rythme de la traque, on s’évade littéralement dans un sanctuaire de beauté à travers une poésie féérique où tous les sens sont stimulés au fil des saisons. On s’imagine sans mal regarder le soleil jouer avec les couleurs du ciel, « les orangés d’automne laissant place aux roses glacés de l’hiver ».
Épinettes pointues, bouleaux dorés, érables sang, samares, mousses, grandes oies des neiges, orignaux, biches, coyotes, ours, renards, lynx, castors, martres, rats musqués, visons, hermines… Ouvrir ce livre c’est respirer la forêt, le lire c’est recharger ses batteries, le terminer c’est avoir envie de crier son désespoir face à l’ineptie humaine tout en reconnaissant ses propres faiblesses.
Une lecture riche de sens heureusement parsemée de dessins et de notes légères grâce aux éclats de la langue québécoise qui nous offre son accent le plus chantant et ses expressions les plus imagées (que l’on peut d’ailleurs allègrement parcourir grâce au glossaire situé à la fin). Bref, si je n’avais pas su vous convaincre avec le premier volet, j’espère avoir réussi avec celui-ci !