On trouve dans ce recueil trois récits de longueur diverse, et croissante, qui se déroulent tous dans l'univers familier aux lecteurs de la saga Le sentier des Astres.
Le premier, une nouvelle intitulée Mille et une torches, raconte ce qu'on aurait pu croire être la fin de la guerre qui oppose la duchesse Maroué Luari à l'Héritier-Roi, puisqu'elle commence juste après la signature d'un traité de reddition infamant. On y voit comment le peuple lutte avec ses propres moyens, comme sa dirigeante, contre l'envahisseur.
Le second est une réédition puisqu'il s'agit de la novella Dévoreur. C'est néanmoins une excellente idée de l'inclure dans cet opus, car le court roman qui suit, Les eaux de sous le monde, en est la suite directe, et il serait à mon avis difficile de l'apprécier pleinement sans avoir lu la novella.
En effet, on y voit le mage Peyr Romo appelé par l'abbesse sahariste Agyre pour résoudre une affaire de manifestation surnaturelle non dans leur propre hôpital, mais dans celui de la congrégation rivale, le Nimiron. Depuis plusieurs jours, une corneille blanche y volète à certaines heures, en laissant dans son sillage des murmures érotiques troublants pour les Servantes de Harienn Nimir.
Les deux communautés religieuses ont un lourd passé - "passif" serait presque mieux dire - de rivalité haineuse, et la personnalité de la Révérende mère Arandith n'arrange rien. Dans la ville de Feddrantir inondée, isolée, et où les vivres de secours n'arrivent pas, ce qui favorise les semeurs de division, de racisme et de haine, l'emprise d'un passé refoulé, oublié depuis longtemps par les deux congrégations, ne pourra se résoudre sans sacrifice. Et Peyr Romo aussi devra se rendre compte qu'il n'a pas fait la paix avec un passé récent, qui le hante plus qu'il ne le pensait.
Je suis toujours aussi sensible au style de Stefan Platteau. On en voit l'aspect le plus varié dans la nouvelle, avec ces deux narrateurs aux parlers si divers. Son aspect caractéristique de puissance, et de sensorialité, apparaît encore davantage dans les deux autres textes. Il n'est pas toujours facile, pour les écrivain.es francophones, de garder un bon équilibre entre la richesse et la clarté, et cet auteur y réussit à mon sens tout à fait. Les personnages sont variés, bien distincts, et prennent rapidement du corps, surtout dans le roman court, de la lumineuse Azal à la terrible Arandith, en passant par la complexe Agyre, sans oublier Peyr Romo lui-même.
La façon dont le passé, surtout oublié, peut ressurgir des profondeurs et s'avérer d'autant plus dangereux qu'il déferle sur des esprits non préparés, m'a particulièrement plu. Par ailleurs, la représentation sensible, y compris dans sa dimension corporelle, du passé, du squelette aux nagas, apporte à l'intrigue sa dimension fantastique, dans une ambiance qui tient à la fois de Jules Verne et de Gaston Bachelard. En somme une lecture intéressante, qui m'a donné une grande envie de me replonger dans la saga à laquelle elle appartient.