Il était une fois une île sur laquelle une multitude de chats se promenaient en toute liberté, avec l'insouciance et l'indépendance qui les caractérisent. Les pantouflards trouvaient toujours une cheminée auprès de laquelle se réchauffer, les aventuriers erraient à travers champs, les gloutons allaient de gamelle en gamelle... C'était une île où les habitants et les félins cohabitaient tranquillement. Ces derniers faisaient tellement partie du décor et vivaient tellement leur vie à leur guise que personne au début ne s'est aperçu qu'on les voyait de moins en moins. Jusqu'à ce qu'on se rende compte de l'évidence : les chats avaient disparu.
C'est alors que, venue du continent, accompagnée du nouveau maître d'école envoyé sur l'île sans lui demander son avis, une dame de l'administration s'est présentée avec la solution au problème. Elle amenait avec elle de nouveaux chats. De nouveaux chats qui n'étaient pas du tout des chats, mais comme elle et le nouveau maître parlaient une langue très spéciale, le "convaincu", le doute s'est emparé des esprits. Après tout, peut-être que c'étaient bien des chats.
Le narrateur, habitant de l'île depuis fort longtemps, fait partie des hermétiques au "convaincu". Et c'est avec stupéfaction qu'il assiste à la division lente mais sûre qui s'établit dans cette petite île où tout le monde se connaît. Même s'ils ne se font pas la guerre, deux camps émergent et mettent en péril l'harmonie îlienne : les soumis et les résistants. Ceux qui se laissent abuser et adoptent ces chats qui se tiennent en laisse et ceux qui voient bien qu'on essaie de les manipuler. Mais les discours, à force de répétition, peuvent pénétrer les esprits les plus têtus...
Cette histoire aux allures de fable se hisse au rang des classiques incontournables tels que Rhinocéros d'Eugène Ionesco ou La ferme des animaux de George Orwell (la quatrième de couverture évoque 1984 de ce dernier auteur), des œuvres littéraires de référence qui dénoncent les méthodes du totalitarisme. Faire entrer des idées, asséner, marteler, semer le doute, si bien que sans s'en rendre compte, les gens se laissent convaincre par les illusions de vérité. En modifiant les mots, on change les mentalités. Les nouveaux chats ne sont pas des chats, mais si tous les jours on entend que ce sont des chats, qu'on nous en offre un en arguant à quel point c'est utile et nécessaire, au fil du temps, comme le narrateur qui se laisse berner par le "pour le savoir il faut bien essayer", on se laisse convaincre.
L'homme qui n'aimait plus les chats est un vrai petit bijou qui mériterait d'être étudié à l'école. C'est à la fois drôle, intelligent, brillant et émouvant. Son apparente simplicité cache en réalité des angles de réflexion captivants qui questionnent et font réfléchir. J'ai été totalement happée par l'histoire, l'écriture et les messages. Sans oublier ce décor maritime dont les embruns font souffler une envie de liberté vivifiante et ses personnages qui apportent chacun un plus au récit.
Ce roman repéré par les Éditions du Panseur (et qui est leur premier ouvrage publié) aurait pu passer inaperçu et fort heureusement, Folio a eu l'excellente idée de le publier à son tour. J'espère de tout cœur que cela lui permettra de rencontrer le large lectorat qu'il mérite !