Alexandre Alekhine est le champion du monde des échecs depuis 1927 et, en cette année 1940, il retourne en Europe après une tournée en Amérique du sud. Alekhine a été appelé sous les drapeaux par la France, son pays d'adoption. Sur le paquebot qui le ramène, il réfléchit à sa vie depuis qu'il est devenu champion du monde, à ce qui a changé pour lui et à ce que lui prépare l'avenir durant la guerre. Alekhine n'a aucune envie de porter l'uniforme et compte bien profiter de l'escale à Lisbonne pour éviter d'être incorporé. C'est dans cette ville qu'il va rencontrer Francisco Lupi qui va devenir son ami et le seul qui lui restera jusqu'à la fin. Alekhine est un être tourmenté, alcoolique et paranoïaque qui ne pense et ne vit que pour les échecs. Il considère toujours qu'on ne le reconnaît pas à sa juste valeur, lui le besogneux, qui n'a pas été touché par la grâce comme son grand rival Capablanca et qui joue aux échecs comme on fait la guerre. La meilleur défense pour lui c'est l'attaque et pas de pitié pour les autres. C'est cet état d'esprit qui va l’entraîner à se lier aux nazis et à collaborer avec eux en ne voyant que son intérêt. Cela va l'amener à s'aliéner tous ses anciens adversaires et à le rendre encore plus paranoïaque.
C'est cette période de la vie de ce génie des échecs que nous raconte Arthur Larrue, sa lente descente aux enfers dans sa vie professionnelle, personnelle mais aussi les tourments psychologiques de cet homme complexe. Par quelques retours en arrière, nous découvrons son passé permettant ainsi d'expliquer en partie le fonctionnement tortueux de son esprit. Nous ne saurons jamais vraiment si ses agissements avec les nazis l'ont été de son plein gré ou s'il a été manipulé en profitant de ses faiblesses. Cet homme qui était un roi de la stratégie a été à son tour un pion aux mains de fanatiques nazis tentant de prouver la supériorité de certains sur d'autres à qui l'on déniait toute humanité. Cela l'amènera à finir sa vie, quasiment seul, renié de tous dans un pays sous une dictature.
Ce livre permet de découvrir cet étrange personnage qu'était Alekhine, un homme qui était obsédé par son jeu, qui était prêt à tout pour gagner et qui pratiquait la politique de la terre brûlée dans son jeu aussi bien que dans sa vie. Le sort des ses anciens adversaires juifs ne semble pas l'émouvoir mais on ne sait pas si c'est parce qu'ils sont toujours des ennemis du champion du monde ou parce qu'ils sont juifs. On ne sait que penser de lui, de ses agissements pendant la guerre : sont-ils motivés par la haine de l'adversaire, par l'antisémitisme ou par la peur des nazis ? Après cette lecture, cet homme reste pour moi une énigme.
Pour m'en faire une idée plus précise, j'aurais aimé découvrir un peu plus de sa vie avant son titre et c'est ce qui manque à ce roman. Comment comprendre un homme si torturé si on ne fait qu'effleurer un peu de son passé ?
J'ai aimé dans l'écriture l'incessant rapprochement entre le déroulé de sa vie, de la guerre et une partie d'échecs. J'ai moins apprécié certains passages sur d'autres personnages qui n'apportent pas grand chose au récit. Là où le texte est le plus touchant, c'est lorsque l'on découvre le sort des ses anciens adversaires qui ont subi la furie nazie. Ces passages sont beaux, prenants et d'une tristesse infinie.
Le sentiment qui l'emporte à la fin, c'est d'être resté un peu sur ma faim.