Le dénouement d'une longue et sanglante enquête a rapproché Adamsberg de son collègue breton le commissaire Mathieu, qui lui a fait découvrir le petit village de Louviec, et ses habitants pittoresques groupés en soirée autour de l'excellente cuisine de l'aubergiste Johan. Autant dire que lorsque le commissaire parisien découvre au détour d'un entrefilet que l'un de ceux qu'il a rencontrés ce soir-là a été assassiné, il s'émeut, et n'hésite pas à appeler Mathieu. Le commissaire divisionnaire de ce dernier étant un imbécile trop prompt à suivre des indices cousus de fil blanc, et prêt à arrêter l'inoffensif Josselin de Chateaubriand, peut-être descendant et en tout cas sosie parfait du grand poète romantique, il est dessaisi, et c'est Adamsberg qui est chargé de l'enquête.
Il part donc pour Louviec, accompagné de Noël, Mercadet, Retancourt et Veyrenc. En passant, il résoudra le mystère du fantôme boiteux qui terrorise les habitants de Louviec, mais il lui faudra beaucoup plus de temps pour découvrir l'assassin qui rôde dans l'ombre en laissant un oeuf fécondé dans la main, et des piqures de puces sur le corps, de victimes apparemment aléatoires.
Ce roman longuement attendu est habilement écrit, et on y retrouve certains des éléments qui ont fait le succès de l'autrice, et notamment de cette série : le léger parfum de surnaturel, des personnages et une atmosphère décalés et finalement une enquête résolue sans être au centre de l'intrigue.
Pour les fans de la première heure, toutefois, il manque quelque chose. D'abord, on ne saura rien de la vie d'Adamsberg : toujours aucune nouvelle de ses fils, ni a fortiori de Camille, et aucune évolution dans ses relations avec Danglard, commodément resté à Paris pendant cette aventure bretonne. Du coup, il s'agit seulement d'une histoire policière, et c'est un peu dommage pour les habitués d'un commissaire qu'on a connu inquiet à l'idée de "devenir flic".
Ensuite, les personnages et situations renvoient à d'autres dans la série : les puces ne sont pas les seuls personnages (si on peut dire !) à venir de Pars vite et reviens tard, car Johan évoque irrésistiblement Bertin, cependant que la ressemblance troublante entre Josselin et l'Illustre ne peut que faire penser au François Château de Temps glaciaires. Il n'est jusqu'à la menace de "la balle dans le bide", et la balle dans le bras, qui ne rappelle L'homme à l'envers, d'un peu plus loin, c'est vrai. Ce n'est pas désagréable en soi, mais l'autrice avait habitué son lectorat à se renouveler davantage.
Enfin, les personnages sont bien trop gentils et respectueux des particularités d'Adamsberg ! Même Retancourt, jusqu'à présent réticente à le suivre dans ses méandres, sert ici de béni-oui-oui autant que de déesse polyvalente. Par moment, on se croirait dans un roman d'Agatha Christie, où tous les personnages, l'assassin inclus, s'extasient à la fin devant l'ingéniosité du détective, qui expose ses conclusions incontestées devant un parterre conquis.
Il n'en reste pas moins qu'on apprécie toujours autant les raccourcis de langage (le "ministre globuleux" vient à l'esprit), le choix de mots rares (et, oui, "extravaguer" existe !), et l'habileté à créer une atmosphère faite de camaraderie et de respect de chacun.