Dans un monde de plus en plus cynique, où tout le monde pense et parle de l’amour, tout le temps, à toutes les sauces, alors que plus personne ne semble y croire, le narrateur fait le choix de raconter l’histoire de Felice et Noé. Il fait le pari de croire que l’on peut encore écrire sur le grand amour. Et le vivre. Surtout quand tout semble s’y opposer comme avec ce couple de personnages issus de deux univers bien différents.
Avocate de profession, lorsque Felice rencontre Noé, elle est mariée à un radiologue arrogant et toxique, mère de famille et ne vit sa vie amoureuse qu’à travers cette relation de dépendance et de disponibilité conjugale à satisfaire les lubies érotiques de son époux. Noé quant à lui est dessinateur. Un peu perché, il semble vivre dans sa bulle, coupé du monde mais indissociable de ses cartons à dessins dont on ne peut le séparer sans donner l’impression de le dépecer à vif. L’art avant tout !
Mais ce qui est bien avec l’art, c’est qu’il va souvent de pair avec la beauté et lorsqu’il regarde Felice, Noé ressent toujours cette envie irrépressible de la dessiner. Même après dix ans de relations, la beauté demeure et continue à suffire en maintenant intacte cette émotion intense qui le prend à chaque fois qu’il la voit : un « sentiment profond, enivrant, gazeux », un sentiment qui envahit tout, vital comme un battement de cœur.
C’est cette relation particulière, passionnelle, charnelle, pourtant forte et pérenne, que tend à décrypter le narrateur à travers une série d’échanges sous forme de discussions et de bribes d’un quotidien en pleine révolte sociale.
Quelle étrange lecture. Étrange car en réalité je l’ai lue deux fois ! Une première fois laborieusement, en faisant des pauses à chaque fin de paragraphe, avec paradoxalement davantage l’envie d’en finir au plus vite que de faire languir pour savourer… Ce qui du coup ne m’a clairement pas aidée à rentrer dans l’histoire.
Puis une deuxième fois, afin de lire à une tierce personne les extraits que j’avais tout de même annotés. Ce qui m’a amenée à recontextualiser l’ensemble de ma lecture, en y mettant l’emphase et pour cela à relire l’histoire à voix haute. Et le plus fou, c’est que c’est dans cette seconde lecture quasi théâtrale que j’ai pris le plus de plaisir !
Un style d’écriture à la fois beau mais désabusé, criant des vérités simples à travers des portraits complexes mais touchant et parfois également sacrément caustiques. Un je-ne-sais-quoi qui m’a fait penser à un étonnant mélange entre du Beigbeder des années 2000 et un Houellebecq intemporel dans sa volonté d’être polémique. D’ailleurs, l’auteur fait une référence à moitié déguisée à l’un de ces deux auteurs, je pencherai plus pour le second (sûrement à cause des histoires d’amours manqués et des « petits yeux plissés »).
En tout cas, il faut beaucoup de recul et d’audace pour savoir rire de soi et l’auteur nous livre à travers les mots de son narrateur, une vision soigneusement décortiquée mais réussie du besoin d’un autre, de l’alchimie émotionnelle et physique du sentiment amoureux. On sent l’auteur désireux de ne pas tomber dans la facilité des clichés et soucieux de ne pas non plus pondre du politiquement correct.
Résultat, c’est le genre de livre qui n’a en soi, certes, rien de révolutionnaire concernant le sujet abordé, l’amour et ses infinis secrets, mais qui arrive toutefois à séduire par ses réflexions et le ton décalé qui nous fait sans cesse naviguer entre douceur et brutalité, poésie et satire. Vraiment, insolite mais surprenant !