Les Chroniques de l'Imaginaire

Les mille visages de la Venise du Dragon - Moulay, Sophie

Venise est une île, qui vogue sur les océans, s'amarrant parfois à des pays pour renforcer ses relations diplomatiques le temps d'un court séjour. Sur cette île, tout le monde vit masqué. Il est en effet indécent et vulgaire de montrer son visage nu. Les touristes arborent un masque jaune et sont limités en nombre. Les autres ont des masques plus ou moins élaborés, neutres, ou capables d'exprimer des émotions, agrémentés par exemple d'un petit papillon qui, en fonction des sentiments de son porteur, pourra battre des ailes avec gaité ou au contraire tristesse ou ennui.

Au fil des pages, on comprend petit à petit comment fonctionne cette société basée sur le paraitre. Dix masques se réunissent toutes les semaines pour prendre les décisions politiques importantes qui régissent Venise. Les hauts personnages, appelés Foi, Juge, Dragon et d'autres, portent des masques magnifiques. Et personne ne connait leur vrai visage. D'ailleurs, quand leur porteur meurt, c'est un Masquillon, quelqu'un formé pour arborer le masque, qui prend le relais. Ainsi, les cent-quarante-huit Masques importants de Venise sont toujours au complet.

C'est dans cette atmosphère trouble de mensonges, de tromperies, de sournoiserie, que Fénéla, la servante de Mercille, l'une des fameux Masques, va commettre un acte insensé. Un matin, elle découvre sa maitresse morte. Enfin débarrassée de cette sorcière hautaine et méchante avec tout le monde, la servante décide de mettre le Masque. Personne ne saura que ce n'est plus Mercille mais Fénéla sous le masque de la femme d'affaires. Elle connait tellement bien sa maitresse qu'il ne lui est pas difficile de se mettre dans sa peau.

Mais l'entreprise de prêt-à-porter de Mercille connait un sacré revers. Une concurrence déloyale lui fait perdre une grosse partie de sa clientèle. Fénéla va devoir redresser tout cela, en commettant des actes de vengeance aux conséquences multiples pour elle et d'autres Masques.

Parallèlement, on suit Dragon, ce personnage ni homme ni femme, ou les deux, on ne sait pas, qui manipule tout le monde, qui aime les jolies jeunes filles d'une façon bien étrange, qui envoûte et dégoûte en même temps. Dragon veut faire tomber Foi, mais aussi avoir encore plus de pouvoir au sein des Dix Masques. Il décide de s'associer avec une autre Masque, une savante un peu autiste qui est à deux doigts de réussir à fabriquer le premier ordinateur nucléaire. Le Dragon a des idées bien précises sur l'usage qu'il pourrait faire de cette technologie.

C'est un roman ingénieux, très coloré par tous les Masques, les fêtes, les vêtements mais sombre en même temps car les intrigues se nouent et se dénouent, les vengeances pullulent, mais en parfaite intelligence. A aucun moment le lecteur ne se perd dans les méandres des intrigues politiques ou amoureuses.

Le fonctionnement de cette société masquée est décrit au compte-gouttes, au fil des événements, mais cela n'empêche aucunement la lecture de rester fluide, agréable. La seule difficulté de lecture, pour ma part, concerne tous les chapitres relatifs à Dragon, où l'autrice utilise les pronoms non genrés, comme 'iel', 'ellui', ou "lae" en parlant de ce Masque bien mystérieux. Pas toujours facile à lire, mais comme ce troisième genre apparait de plus en plus dans les romans, on va devoir s'y habituer.

Un bon moment de lecture !