Les Chroniques de l'Imaginaire

Trois battements, un silence - Fakhouri, Anne

Marco a tout perdu : son oncle Ray, qui lui avait appris à tenir en respect ceux de l'Autre Monde, et qui est mort dans une explosion avec tous les autres membres de la famille, son amour, Hannah, quand il lui a arraché leur fils, qui lui a été enlevé depuis, et même son nom, depuis que Marc de Lusignan est devenu Marco Délusi. Mais il est vrai que dans sa lignée, les hommes maudissent celle dont ils portent pourtant le nom, et qu'ils n'appellent plus que "la Grande Salope", tout en convoitant son trésor.

Mais Marco est le fils de coeur de l'oncle Ray, le voyageur, le rêveur chaste, qui l'a aimé plus que tout et a donné sa vie pour protéger la sienne de tous les dangers imaginables. Ainsi Marco aime-t'il son fils, Orphée, quand il lui sera enfin rendu, Orphée avec toutes ses bizarreries, ses silences, et son coeur qui bat au même rythme que le sien, celui des Lusignan. Pour le protéger, il va prendre la route dans la vieille DS de l'oncle Ray, et demander de l'aide à cette légende vivante qu'est Eric Vidal. Mais il n'est pas facile d'échapper à Une Ombre, et moins encore de duper un ancien dieu.

Difficile à suivre au départ, avec son ton allusif, ce roman mosaïque où les petits matins font écho aux crépuscules s'éclaire peu à peu de "l'or du soir qui tombe" comme une chevelure de fée. On y voit la longue guerre que les hommes ont faite aux femmes, selon l'histoire emblématique de Mélusine, fille elle-même d'une créature divine et d'un homme qui a trahi son serment, et de son amour pour Raymondin de la Marche, qui deviendra Raymondin de Lusignan. Cette lignée, depuis qu'elle l'a maudite, exclut à la fois les femmes et la parentalité affectueuse, mais aussi la beauté sous toutes ses formes.

Les changements de ton d'un narrateur à l'autre, comme les échos entre les personnages, sont bien maîtrisés. On découvre tout un univers par petites touches, et les différents protagonistes prennent du corps au fur et à mesure de l'avancée, même si Eric Vidal reste énigmatique, comme il sied probablement à une "légende vivante" de l'existence de laquelle on doute. Les lecteurs et lectrices qui n'auraient aucune connaissance de l'histoire de Mélusine la découvriront par petits bouts, et les autres en liront avec un plaisir certain une version plus complète que celle qui est couramment racontée.

En somme, c'est un roman très réussi, avec ses allures de conte et de road movie, et on ne peut que regretter qu'il doive être le dernier de cette autrice talentueuse, décédée en novembre 2022.