A False Beach, en Alabama, les faux-semblants sont nombreux. Comme son nom l'indique, la ville n'a pas de plage. Dans son lycée, Willowgrove, les pages consacrées à la reproduction sont collées ensemble dans le manuel de biologie. Les élèves sont obligés de se conformer à des règles d'un autre âge. Pas de jupe trop courte, pas de cheveux teints... pas d'honnêteté possible, que ce soit envers soi-même ou envers les autres.
Ayant grandi en Californie, Chloé Green fait figure d'OVNI. Pourtant, elle est en partie une enfant du pays puisque sa mère est originaire de False Beach. Enfin, l'une de ses deux mères. Elle-même bisexuelle, Chloé est heureuse d'avoir grandi dans un environnement plus ouvert, à la différence de sa meilleure amie Georgia, homosexuelle, qui n'a connu que False Beach et ses non-dits. Chloé espère bien partir pour étudier à New-York avec Georgia après la remise des diplômes. Il ne reste pour cela plus qu'une chose à faire pour triompher de Willowgrove : devenir major de promo et écraser à plates coutures sa rivale, Shara Wheeler. Shara, la fille dont le portrait est sur un gigantesque panneau à l'entrée de la ville. Shara, la fille du proviseur qui se rend à l'église tous les dimanches et multiplie les bonnes actions. Shara, à la chevelure blonde brillante, au parfum de lilas, aux notes stratosphériques, toujours dans le respect des règles, qui a été prise à Harvard avant d'être diplômée. Shara, cette fille qu'elle ne peut absolument pas supporter.
Seulement voilà, lors du bal de promo, alors que cette peste de Shara vient d'être couronnée reine du bal, tout part en vrille. Chloé croise Shara dans un ascenseur et celle-ci l'embrasse. Peu de temps après, Chloé apprend sa disparition inexpliquée. La jeune fille décide de se rendre chez sa rivale pour enquêter. Pour elle, hors de question de gagner par forfait de son adversaire. Elle la déteste trop pour cela. Chez les Wheeler, Chloé découvre qu'elle n'est pas la seule à avoir été embrassée par Shara le soir du bal de promo et que cette dernière a manigancé un jeu de piste pour permettre de la retrouver, en glissant des énigmes dans des enveloppes dissimulées à travers la ville. Qu'à cela ne tienne, Chloé se jure de la battre à son propre jeu. Même si elle doit pour cela s'allier avec Rory, un musicien dépressif et amoureux déçu de Shara, ou avec Smith, l'un des sportifs vedettes de Willowgrove et petit ami officiel de la belle disparue.
I kissed Shara Wheeler commence dans le vif du sujet : Shara vient d'embrasser la protagoniste et de disparaître, la laissant mariner dans sa frustration. Le roman ne se départira pas par la suite de son rythme effréné ni de son suspense. D'enveloppe en enveloppe, d'énigme en énigme, l'action ne retombe pas. Chaque recherche d'indices est une occasion pour le lecteur d'en apprendre plus sur les habitants de False Beach et en particulier sur Chloé et les autres lycéens. A chaque début de chapitre, des extraits de prises de notes, de chansons, de dissertations, de petits mots, nous dévoilent aussi les pensées intimes des personnages. Petit à petit, les illusions sont dissipées grâce à l'intervention plutôt musclée, souvent inventive et parfois mesquine de Shara. Telles lycéennes apprennent qu'un garçon les a trompées. Tel personnage est confronté à sa sexualité et/ou à son identité de genre. Les vérités sont dévoilées, y compris celles que les principaux intéressés ignoraient eux-mêmes. L'enquête est très prenante et même quand elle s'interrompt, au deux-tiers du roman, ce n'est que pour laisser place à une autre sorte de compétition entre Chloé et Shara, tout aussi efficace.
Le roman ne dépaysera pas les lecteurs ayant déjà lu ou vu des histoires se passant dans des lycées américains, avec leurs factions rivales, la ségrégation et les hiérarchies : tel club est pour les geeks, tel club pour les sportifs, etc. Et bien sûr tous ces groupes ne se parlent pas entre eux. Casey McQuiston en rajoute une couche en situant son action dans un lycée religieux en Alabama, environnement rigide et austère s'il en est. Comme dans ses autres romans, les thématiques de la sexualité, du genre, des discriminations, des stéréotypes, y sont centrales. C'est plutôt bien amené dans le sens où même Chloé, fille bisexuelle d'un couple de lesbiennes, a de nombreux préjugés : envers Rory parce qu'il est musicien, envers Smith parce qu'il est sportif, envers Shara parce qu'elle a l'air parfaite, etc. Les personnages sont bien campés et s'affranchissent peu à peu des clichés. On découvre vite que Chloé et Georgia ne sont pas les seules à être bisexuelles ou homosexuelles par exemple.
J'en viens à ce qui m'a le plus surprise : ce livre est certes une enquête mais c'est surtout une romance LGBTQ+ qui se déroule en Alabama. Or, à part une convocation chez le proviseur et encore, les jeunes personnes se sont pas plus inquiétées ou mises en danger que cela. C'est peut-être moi qui ai une vision trop négative de cet État mais j'ai eu l'impression que l'histoire était un peu édulcorée à ce niveau et qu'afficher voire même affirmer son homosexualité en Alabama aujourd'hui pouvait être bien plus risqué que ce qui est dépeint ici.
En tout cas, I kissed Shara Wheeler est une romance plaisante à lire, avec des personnages attachants et une enquête palpitante ! Elle plaira aux jeunes lecteurs en quête de sensations fortes et qui aiment le microcosme un peu glauque des lycées américains. Avec le livre, Lumen m'a fait parvenir de petits enveloppes colorées aux motifs fleuris, similaires à celles utilisées par Shara durant le récit et qui comportent même des mots de la jeune fille, un bon moyen de se plonger encore plus dans l'ambiance !
