Les Chroniques de l'Imaginaire

Les enfants de Cadillac - Noudelmann, François

Intellectuel membre d'institutions prestigieuses, notamment l'Institut universitaire de France et la Maison française à New York, où il vit, François Noudelmann revient pourtant de loin. Du moins, les hommes de sa famille. A commencer par son grand-père, Chaïm, un juif de Russie sur le papier. Lituanien par la géographie. A dix-huit ans, il choisit de fuir les persécutions antisémites et traverse l'Europe avec un cheval et une roulotte. En France, afin de se faire accepter plus facilement, il rejoint l'armée française en 1911. Ce qui lui permettra d'être naturalisé plus tard.

Mais le conflit qui s'ouvre en 1914 va changer ses plans du tout au tout. Pris dans la guerre des tranchées, il devient fou. Et c'est en Gironde, dans l'hôpital psychiatrique de Cadillac, qu'il passera le reste de sa vie, loin son épouse et de leur fils. Un homme mort pour la France qui finira dans la fosse commune.

Albert, son fils, connaîtra un sort à peine plus enviable. Il ne sortira pas fou de la deuxième guerre mondiale, et ne perdra dans les combats qu'une oreille. Mais fait prisonnier, il fera le chemin à rebours de son père, jusqu'aux camps polonais. Là, il travaille du matin au soir, n'est que peu nourri. Puis il parvient à s'enfuir. Les épreuves traversées sont glaçantes et en disent long sur la force de caractère d'Albert.

Ce passé, si poignant, est pourtant invisible. Albert ne l'a que peu raconté. Son fils François ne le connaît que parce qu'il a enregistré son récit une seule et unique fois, une grande confession qui jettera un éclairage nouveau sur le personnage mais ne reviendra pas dans les conversations.

Le narrateur exprime dans l'incipit le peu d'intérêt qu'il portait aux ancêtres et au passé familial. Comme si les descendants voulaient s'emparer d'une histoire dans laquelle ils n'ont en fin de compte aucune part. Mais son point de vue a changé lorsqu'il est parti à l'étranger. Alors sont venues les interrogations : qui suis-je véritablement ? Un Français grâce à Chaïm, qui a choisi de terminer son voyage en France. Un juif athée, comme Chaïm, comme Albert, mais juif quand même aux yeux du monde, puisque c'est ce qui les a condamnés. La judéité est en creux le fil rouge de ce récit organisé en trois parties, chacune consacrée aux trois hommes. C'est ce qui a déterminé leur destin et, même si François Noudelmann n'est pas pratiquant, il se sent désormais lié à ses ascendants en observant un antisémitisme persistant, visible et pas toujours réprouvé.

A travers les histoires personnelles de Chaïm et d'Albert, l'auteur revient sur des évènements terribles de l'histoire européenne en leur donnant un caractère intime, en gardant toutefois une pudeur remarquable. Il interroge aussi la question de l'identité, des caractéristiques qu'on nous prête ou qu'on se choisit. C'est un récit personnel avec une portée universelle. Les questionnements de François Noudelmann peuvent trouver un écho en chacun.

Ce n'est pas un témoignage, ni un récit philosophique, ni même un roman. Les enfants de Cadillac ne rentre dans aucune case si ce n'est celle d'une très belle écriture qui capte notre attention jusqu'à la toute dernière page.