Les Chroniques de l'Imaginaire

Appia - Rumiz, Paolo

Paolo Rumiz décide à soixante-huit ans de parcourir à pied la via Appia (voie Appienne) qui relie Rome à Brindisi, dans les Pouilles. Cette voie, longue de six-cent-douze kilomètres, a été construite à partir de 312 avant J-C et permettait aux légions de soumettre à Rome les régions qu'elle traversait, et d'embarquer les troupes de l'Empire pour la conquête d'autres territoires au delà de la Méditerranée. C'est au long de cette route que les six-mille survivants de l'armée de Spartacus ont été crucifiés pour l'exemple. En 2015, Paolo Rumiz et quelques amis spécialistes partent pour un long périple à la redécouverte de cette voie, pour en relever le tracé, et permettre aux Italiens de se la réapproprier. Il ne s'agit pas d'une simple randonnée mais plutôt d'une expédition car cette via Appia a été oubliée, détruite par endroits, recouverte de routes, de parkings, de supermarchés. C'est dans une véritable recherche du tracé d'origine que Paolo Rumiz se lance, mais il part aussi à la découverte du riche patrimoine architectural et culturel de l'Italie, parfois à ses risques et périls.

Ce livre permet de se rendre compte à quel point l'Italie a un patrimoine culturel extraordinaire qui ne se limite pas à la Toscane, Venise et Rome. La Via Appia était bordée de temples, de villas romaines, de cirques, de théâtres qui ont été oubliés au fil du temps, vampirisés par Rome qui n'a cessé de mettre en avant les richesses de sa ville et a laissé à l'abandon nombre de territoires. Les conséquences sont la dégradation de ce patrimoine, le pillage par les habitants et l'appropriation pure et simple de monuments par quelques uns.

Paolo Rumiz au fil de ses pérégrinations nous décrit une situation qui s'est surtout dégradée au siècle dernier et insiste sur le fait qu'en soixante ans il y a eu plus de destructions qu'en vingt-deux siècles. Ce qui étonne dans ce récit et qui est pointé du doigt par l'auteur, c'est le manque d'investissement et d'envie de l'État pour préserver ces richesses, mais aussi l'indifférence des habitants et des Italiens en général pour leur histoire. Peut-être parce que l'histoire de l'Italie est tumultueuse (ce pays n'est uni que depuis cent-cinquante ans) ou parce que la domination de Rome pendant des siècles a laissé des traces et de la méfiance envers tout ce qui vient de l'état centralisé. Au long du livre, on se rend compte que ce sont souvent des initiatives personnelles et locales qui permettent de préserver ces vestiges parfois contre l'Etat, parfois contre les mairies et parfois contre les mafias. Car contrairement à ce que l'on peut croire après de nombreux procès, après les opérations mains propres, les mafias sont toujours omniprésentes dans ce pays, elles influencent toujours et font encore peur. Elles aussi ont profité de la Via Appia.

Après cette lecture, je comprends mieux pourquoi les Italiens ont toujours cherché à quitter leur pays et pourquoi encore maintenant ils font partie des Européens à s'expatrier le plus facilement. Paolo Rumiz nous décrit un pays fait de débrouilles, d'arrangements entre amis, où l'argent dirige tout, où l'Etat bien souvent ne fait pas son travail, où chacun se méfie de l'étranger qui peut être du village voisin, de la région voisine ou de Rome. Ce qui rend triste l'auteur, c'est de se rendre compte que des Italiens préfèrent s'émerveiller d'antiquités de Rome dans les musées étrangers alors qu'il y en a tant des plus merveilleuses chez eux et que personne ne les connaît ou pire les ignore.

Le but de cette expédition est vraiment d'offrir aux Italiens leur Via Appia, de les ramener à leur riche patrimoine, de leur montrer à quel point leur pays est merveilleux culturellement et qu'il y a tant à faire pour le préserver.

Même si parfois c'est désolant, révoltant, on ne peut qu'être fasciné par toutes ces richesses, cette histoire de la Via Appia, ces paysages magnifiques et ces habitants si attachants en dépit de tout. Comme moi, vous lirez ce livre avec un ordinateur ou un smartphone à portée de main car vous ne pourrez pas faire autrement quand vous lirez les descriptions des monuments visités et régions traversées. De prime abord attiré par les lumières de Rome et de la Toscane, cette lecture m'a donné très envie de découvrir cette partie de l'Italie, peut-être plus authentique et plus rude. La dernière partie du livre est d'ailleurs consacrée à la description des étapes et aux indications du chemin à suivre, précieuses pour ceux qui veulent se lancer à leur tour dans cette aventure.