A trente ans, Lucie Mikaelian tombe sur le journal intime qu'elle tenait lorsqu'elle avait quatorze ans. Nous sommes en 2001, elle est alors en troisième dans un collège parisien. Très bonne élève, elle est entourée d'une bande de copines sympas avec qui elle partage beaucoup de choses, y compris évidemment les discussions sur les garçons et la sexualité. C'est à cet âge là qu'on commence à voir les copains d'un autre œil, que débutent les flirts, les questionnements sur son corps et celui des autres... Mais Lucie est précoce. Elle est déjà au cran supérieur. Son but ? Perdre sa virginité. Cela devient une obsession.
L'album reprend de façon chronologique le journal de Lucie, qui est abordé à la fois sous le prisme du récit autobiographique et de l'apport sociologique sur la façon dont on entre en sexualité. Lucie raconte par le menu ses explorations sexuelles, en premier lieu par la masturbation qu'elle pratique beaucoup en se faisant "orgasmer". Elle fréquente Camille depuis quelques mois et ne pense qu'au moment où elle pourra "baiser", en établissant la liste de ce qu'il faut faire : les positions, les préliminaires, fellations, cunnilingus... Il y a l'excitation impatiente avant la première fois, puis les expérimentations après.
Présenté comme un support pédagogique pour parler de la sexualité, Mes quatorze ans se situe plutôt dans le témoignage d'une adolescente qui n'a aucun tabou et se sent très à l'aise pour faire vivre son corps. Elle apporte un propos libérateur et sans complexe, bien que, comme tout le monde, elle soit malheureusement très attentive à répondre aux critères des canons de beauté classiques : mince, fesses rebondies, poitrine généreuse, peau épilée...
A plusieurs égards, les filles plus ou moins jeunes pourront se reconnaître : les trentenaires de par les nombreuses références à leur adolescence (les chats MSN, la musique de Saez, la lecture de Cosmopolitain...) et les jeunes filles d'aujourd'hui, de par les discussions avec les copines et leurs questionnements. Mais de là à parler de support pédagogique, il y a un pas trop rapidement franchi. A quatorze ans, peu de filles connaissent aussi bien leur corps et ne pensent qu'au sexe. Elles pensent d'abord aux garçons (ou aux filles, c'est selon) et aux sentiments ; la sexualité reste un accomplissement, pas un but en soi. D'ailleurs, Lucie se dit folle amoureuse de Camille mais la trentenaire revient sur cette relation en émettant l'hypothèse qu'il s'agissait plus d'un prétexte pour perdre sa virginité que d'un réel amour.
En dehors de la thématique sexuelle, la lecture de cet album est très agréable grâce à la mise en image de la talentueuse dessinatrice Lisa Chetteau. Elle propose une construction variée et dynamique, avec des planches à vignettes qui racontent des scènes et des planches moins académiques qui reprennent les pages du journal intime de Lucie. On plonge dans la vie d'une adolescente avec tout ce que cela implique : les cours, la pression des bonnes notes, les copines, les sorties, le shopping, les parents, un autre garçon... Le sexe est très très présent mais tous les à-côtés viennent alléger ce thème qui pourrait être lassant.
Au final, ce n'est pas nécessairement un livre à mettre entre toutes les mains. Il pourrait y avoir un effet contre-productif en faisant croire à des jeunes filles de quatorze ans qui ne sont pas obnubilées par le sexe qu'elles ne sont pas normales. Il faut insister sur le fait que Lucie est particulièrement précoce et obsédée, disons-le franchement. En revanche, il faut retenir l'idée libératrice que chaque femme/fille est maîtresse de son corps et libre d'en disposer comme bon lui semble, que ce soit seule ou avec quelqu'un. Le désir et le plaisir d'une femme lui appartiennent et elle n'a pas à éprouver de la gêne. En cela, le récit de Lucie Mikaelian, coadapté avec Jeanne Boëzec, offre un regard vivifiant sur la sexualité féminine.
