Les Chroniques de l'Imaginaire

Ötzi : une vie décongelée - Colocho

En 1991, à la frontière entre l'Italie et l'Autriche, un couple de randonneurs trouve le cadavre d'un homme pris dans la glace à 3210 mètres. Les scientifiques établissent rapidement qu'il s'agit d'un homme du néolithique naturellement momifié par les conditions climatiques à cette altitude. Grâce à son très bon état de conservation, on a pu tirer plusieurs conclusions : il est décédé il y a 5300 ans, avait environ quarante-cinq ans, souffrait de plusieurs problèmes de santé, présentait de multiples tatouages (pas loin de soixante !) et a subi une mort violente. Suffisamment d'éléments pour se faire une bonne idée de ce à quoi pouvait ressembler un être humain il y a 5000 ans, pas assez pour se représenter sa vie quotidienne. C'est là que l'imaginaire de Colocho entre en scène.

A partir des éléments connus à la fois sur Ötzi, le nom qui lui a été donné, et sur la période de la fin du néolithique, le scénariste dessinateur invente un récit qui donne vie à l'hibernatus, qu'il nomme ici Horbuprän. Horbuprän a perdu sa femme en couches et a marié sa fille à un homme d'une autre tribu, qui attaque encore celle d'Horbuprän. On lui reproche la mort d'un valeureux guerrier au combat et, pour ne rien arranger, il n'a pas de totem, contrairement à tous les autres villageois. Il est écarté du groupe. Il a heureusement de la compagnie grâce à un enfant prisonnier qu'il a libéré de la tribu ennemie, et qu'il a choisi d'adopter. C'est à lui qu'il va enseigner l'art de la ferronnerie.
Horbuprän trouve aussi de la compagnie auprès de l'épouse du plus grand guerrier du village et cela ne va pas jouer en sa faveur...

Au milieu de ce récit interviennent des scènes contemporaines avec les spécialistes qui apportent les éclairages authentiques pour comprendre ce que la découverte du corps a permis d'établir : les tatouages indiquent qu'il s'agirait d'une technique thérapeutique proche de l'acupuncture ; le contenu de l'estomac informe sur la méthode de préparation des aliments... Ces incursions se glissent naturellement dans le récit, on passe d'une époque à l'autre de façon très fluide.

Les dessins en noir et blanc sont nets et précis, même les scènes plus confuses de combats d'homme à homme sont facilement compréhensibles. Ces coloris neutres accentuent l'aspect documentaire sous-jacent à la fiction inventée.

C'est un album plaisant à lire et très instructif, car comme le souligne dans la préface l'historienne Claudine Cohen, Colocho offre au lecteur "le double point de vue d'une recherche scientifique de pointe et d'une vie mouvementée à l'âge du bronze". Les deux s'imbriquent intelligemment avec la valeur ajoutée de l'émotion de la vie d'un homme auquel on s'attache. Un bémol tout de même, l'utilisation rare mais désagréable d'un vocabulaire inapproprié car trop ancré dans notre époque : "vénère", "c'est chaud", "choper"... Heureusement, la qualité de la bande dessinée fait vite oublier ce désagrément et on ne retient qu'une très bonne histoire, au temps de la Préhistoire.