Les Chroniques de l'Imaginaire

Le futur de la cité - Collectif

Cette anthologie de la 22e édition des Imaginales regroupe des nouvelles autour du thème de l'édition 2023. Elle contient quatorze nouvelles, un avant-propos extrait des Aphorismes bohêmes du regretté Ayerdhal, et une préface de Gilles Francescano, directeur artistique du festival.

Ces textes sont bien sûr de qualité inégale, mais c'est la règle pour toute anthologie. L'un d'entre eux m'a laissée avec la question du rapport avec le thème : Garou 2.0, de Morgane Caussarieu, explore de façon intéressante le thème des greffes inter-espèces et ses dangers, déjà exploré par Francis Berthelot dans son roman Rivage des intouchables, mais le lien avec la ville, future ou pas, n'y est pas important du tout.

Certains autres l'abordent par la bande. C'est le cas par exemple de la belle et originale Tempus edax, homo edacior ([In]dispensables), d'Isabelle Bauthian, qui parle, d'abord, d'exclusion et de la courte mémoire commode de ses auteurs, sous l'angle des rapports entre les descendants de citadins fermés sur eux-mêmes et l'experte extérieure dont ils ont désespérément besoin. C'est aussi le cas pour Entartage, de Katia Lanero Zamora : son personnage, Lapidus Horion a toujours été un pitre, un clown, et il en est fier. Ne supportant plus de vivre dans une dictature qui ne dit pas son nom, et qui interdit tout plaisir, il décide de se rebeller selon sa nature : son arme fatale, le fou rire "facile" du gag de la tarte à la crème. Cette nouvelle qui ne se prend pas au sérieux n'en est pas moins excellente par son humour, et l'idée centrale fait rêver... Enfin, L'histoire des oiseaux, de Justine Niogret, évoque un moment de la vie d'une femme dans un lieu que le lecteur peut identifier comme un centre commercial, mais qui pour elle n'a pas plus de sens que la notion même de cité. Un nouvelle aussi forte qu'allusive, avec sa remarquable économie de moyens pour décrire une réalité horrifiante.

J'ai certainement admiré le talent d'un Pierre Pelot dans Dansons la capucine pour surjouer son personnage d'auteur vétéran devant traiter un thème rebattu, et présentant un éventail des futurs possibles. En revanche, je n'ai pas été vraiment emballée par les nouvelles Phra au soleil, de Sara Doke, une utopie de ville que l'on découvre par les yeux d'une jeune fille invitée : c'est habilement fait, mais pas révolutionnaire. La Rencontre avec Johnny Wayne, de John King, m'a directement amenée à Gor*, ce que j'ai trouvé désagréable, mais c'était peut-être le projet. Mobipolis, de Pierre Bordage, rappelle, s'il en était besoin, qu'apparences et réputation peuvent être trompeuses, et c'est notamment le cas pour cette cité voyageuse. La ville souterraine à niveaux décrite par Laurent Whale dans 2084 est parfaitement dans le thème aussi, même si la nouvelle est peu enthousiasmante en soi, peut-être écrasée par l'encombrante référence à Orwell.

Enfin, il y a les villes clairement référencées. C'est le cas pour Histoire de Rome de nos jours à la fondation, de Claire Duvivier, qui décrit les heurs et malheurs de la Ville Eternelle, de retournement en retournement, au gré des migrations humaines, animales, politiques, religieuses et autres. C'est original et intéressant, intelligemment fait. Le dernier jour de Paris, de Raphaël Granier de Cassagnac nous invite dans une capitale qui existe autant et plus sous son aspect numérique, via l'IA qui la gère et suit ses habitants, que dans sa réalité de pierre et d'eau. Enfin, la superbe Tokyo 2115, de Claire Krust, raconte le voyage décevant de Laura, élevée par sa grand-mère Lily avec la passion d'un Japon perdu depuis longtemps. La chute est inattendue, et la progression de du changement d'ambiance particulièrement réussie.

J'ai été particulièrement intéressée par Kontrol'za kacestvom, de Christophe Siébert, qui parle d'une ville sibérienne littéralement hantée par les fantômes de son passé de goulag. C'est incontestablement dans le thème, et en même temps indubitablement différent. C'est, d'une autre façon, le cas aussi pour Trois notes sur l'origine de la ville-monde, de Serge Lehman, où il développe une réflexion sur ce qu'est la ville, sur ce qu'elle peut ou pourrait être, et ce qui la constitue. On dirait un cours, ou une conférence, et ce n'en est pas moins passionnant pour autant, au contraire.

En somme, un recueil riche, qui donne au moins une image de l'imaginaire français actuel, et dans lequel chacun et chacune pourra sans doute trouver son bonheur.