Les Chroniques de l'Imaginaire

Du thé pour les fantômes - Vuklisevic, Chris

Félicité et Agonie, les deux filles jumelles de Carmine, sont aussi différentes que leurs prénoms. Si la première est la bien-aimée de leur mère, la seconde en est le souffre-douleur, vit pratiquement dans les combles de leur bergerie, interdite d'apprendre à lire, et même de tout contact humain. Heureusement, elle a le soutien et l'amitié de sa soeur. Mais Félicité est une enfant brillante, et vient le jour où elle quitte Bégoumas pour entrer au lycée à Nice.

Là, elle rencontre Marine, et se ré-invente : elle a trouvé ce qu'elle veut faire de sa vie, elle sera, comme Marine, théilogue, elle partira sur la piste d'étranges-thés rares, qu'elle pourra offrir à ces fantômes qu'elle a toujours vus autour d'elle. Elle oublie que Carmine et Agonie ont besoin d'elle, qu'elle leur a promis de revenir. Elle remonte au village à seize ans, après des mois de silence, sans savoir ce qui s'y est passé pendant ce temps. Agonie disparaît, les habitants fuient le village et Carmine commence à se perdre à l'intérieur d'elle-même.

Trente ans plus tard, la situation n'a guère changé : Félicité a dû renoncer à ses séjours prolongés à la recherche de thés pour aller régulièrement s'occuper de sa mère, de plus en plus démente. Elle a cependant une occupation qui lui convient et qui lui permet de vivre à Nice confortablement : elle permet aux fantômes de "passer" en transmettant les derniers mots qu'ils n'ont pas eu le temps de dire à leurs proches. Mais un jour, sa mère meurt, elle essaie d'en informer sa soeur et, à sa grande surprise, celle-ci répond pour annoncer son arrivée. Ensemble, elles vont essayer d'en savoir plus sur la vie de leur mère.

Ce roman est fort plaisamment original. Non tant au niveau du thème central, de deux sœurs que tout oppose, et des secrets de famille mortifères péniblement découverts, avec les bouleversements de vie que cette découverte va entraîner, mais au niveau du cadre dans lequel ce thème se déroule. En effet, l'autrice ne manque pas d'imagination pour créer, ou recréer, tout un univers où morts et vivants s'entre-mêlent, où une guerre fantomatique est arrêtée par un talent particulier, où des étranges-thés existent.

Les personnages, morts ou vivants, et leur évolution sont finement décrits, et s'il se passe sans cesse quelque chose, ce n'est pas au point d'essouffler le lecteur : l'action a un rythme de promenade de découverte, entre mer et montagne du pays niçois.

L'histoire est écrite du point de vue du narrateur omniscient : racontée par un personnage secondaire à un total étranger. Cela lui donne un ton très détaché, légèrement ironique, qui peut séduire ou non, mais à mon avis convient assez bien à l'univers décrit.

En somme, c'est là une autre réussite très personnelle de l'autrice de Derniers jours d'un monde oublié, que ceux et celles qui avaient aimé ce roman apprécieront tout autant, et qui fera découvrir son nom à ceux et celles qui ne l'avaient pas lu.