Les Chroniques de l'Imaginaire

Florilège - Bai, Li

Ce recueil de poèmes nous présente l’œuvre de Li Bai. Né sous l'Empire des Tang, en Asie centrale, il refusa d'entrer dans l'administration, se fit bretteur, demanda et obtint parfois les grâces des grands de son temps, connut plusieurs mariages, de longs voyages, la prison, l'exil. Il écrivit surtout des milliers de poèmes, dont les formes sont toutes aussi diverses qu'il connut lui-même de vies.

L'introduction de Paul Jacob, qui a aussi traduit les poèmes, offre une bonne entrée en matière. Elle nous familiarise avec ce que l'on sait de la vie du poète et sur ses thématiques de prédilection : l'amitié, l'alcool, les montagnes, la vie sociale… Je ne vois qu'un seul bémol à cette édition : elle date des années 1980 et il aurait pu être souhaitable d'en actualiser le contexte géopolitique, ne serait-ce qu'en note de bas de page. Il est par exemple fait référence à la République socialiste du Kirghizistan, qui n'existe plus depuis 1991. C'est donc bien une réédition en l'état qu'on aura ici l'occasion de découvrir.

Le florilège de poèmes ne suit pas un ordre chronologique, mais s'attache plutôt à regrouper les poèmes en fonction des thématiques déjà évoquées en introduction. Six grandes parties sont ainsi présentes, toutes découpées en sous-parties, à l'exception de la dernière consacrée aux poèmes divers.

La première partie est celle de l'Amitié, qui se décline selon les types d'amitiés éprouvées par Li Bai : envers les Ermites, les Poètes, les Mandarins et… les Autres. Ces premiers poèmes nous font découvrir le style de l'auteur, son expression des sentiments, son ton laudatif - du moins pour ses amis -, son regard sur la nature végétale, minérale, astronomique, ainsi que l'importance prise par les voyages dans sa vie et ses rencontres.

La seconde partie est dévolue à la Femme qui peut dans ces poèmes être Une Épouse, une des Épouses de soldats ou des Femmes de marchands et [des] concubines plus spécifiquement, ou encore une des Filles de la campagne. On sent une certaine distance du poète à l'égard de ces femmes qui ne se retrouvait pas dans les poèmes consacrés à ses amis masculins.

La troisième partie est dévolue à l'Ivresse, au Plaisir convivial mais aussi à la Philosophie et [au] mystique. Cette deuxième sous-partie, plus contemplative, annonce la grande partie suivante : les Monts et les Eaux. On y suit le poète près du Grand Fleuve, de la Montagne Tranquille et emporté par l'Ivresse des Cimes. Ces poèmes correspondent peut-être le plus à l'idée qu'un néophyte peut se faire de la poésie chinoise, où la nature apparaît comme sacrée et chérie.

La partie suivante, Dans le siècle, est moins lyrique et plus poignante. Elle laisse entrevoir les tracas de son auteur à travers ses différentes sous-parties : La Nostalgie, sous-partie qui comprend elle-même Le mal du pays, Le mal du temps, La nostalgie du ciel ; Le chaos politique et La chevalerie errante et l'inutile engagement. Mon texte préféré, Envoyé à mes deux jeunes enfants laissés en Lu de l'Est, figure dans cette partie. Les auteurs chinois sont, d'après l'introduction de Paul Jacob, peu disposés à mentionner leur famille dans les poèmes. Li Bai évoque cependant, au hasard d'un poème, ses jeunes enfants qu'il a laissé derrière lui pour voyager et qu'il imagine cueillir des fleurs près du pêcher qu'il a planté lors de son départ.

Suivent enfin des poèmes Divers et deux annexes, l'un étant une sorte de fable en prose, l'autre une demande d'emploi.

C'était un plaisir de découvrir Li Bai à travers de nombreuses thématiques et des formes de poèmes variées. Le tout est étonnamment accessible pour des poèmes écrits à des milliers de kilomètres il y a un millier d'années. L'édition, à travers des nombreuses notes de bas de page et son introduction bien conçue, en est en partie à l'origine. Cependant, il y a également quelque chose d'étrangement intemporel dans les cheminements poétiques de Li Bai.

La petite touche en plus : l'illustration de couverture est une représentation de Li Bai lui-même, bien que non d'époque.

En résumé, c'est un ouvrage que je ne peux que conseiller à tous les amoureux de poésie chinoise, d'évocation lyrique de la nature mais aussi aux curieux de l'histoire et des mœurs de la Chine ancienne.