Les Chroniques de l'Imaginaire

Porca miseria - Benacquista, Tonino

Tonino est le fils de Cesare et Elena, des Italiens venus en France dans le milieu des années cinquante et qui se sont établis à Vitry-sur-Seine. Cesare est d'abord venu seul avant de faire venir sa femme et ses quatre enfants. Tonino sera le seul à naître en France. C'est un véritable déracinement pour Elena et les enfants, d'autant plus que sa famille l'avait mise en garde contre ce rustre de Cesare. Mais l'amour parfois vous conduit à faire des erreurs qui vous obligent toute une vie. Cesare n'est plus celui qu'il était en Italie ; il s'est mis à boire de plus en plus et chaque soir le moment où il se couche est un soulagement pour la famille. Ce n'est pas qu'il est violent mais il fait honte à ses enfants par son comportement, ses emportements et ses idées arrêtées. Quant à Elena, c'est la mélancolie qui l'emporte, "Porca miseria" est son expression favorite qui exprime à la fois les regrets de ce mariage, le manque de sa famille restée en Italie et son isolement, volontaire, en France dans ce quartier pourtant peuplé d'italiens. C'est dans cette famille bancale que Tonino a évolué, où les enfants et surtout les filles n'ont pas pu faire les études désirées, où les parents ne leur ont transmis aucune culture, ne cherchant pas à les ouvrir sur le monde.

Et c'est ce quotidien que l'auteur nous raconte, cette enfance et cette vie à éviter le père, à tenter de comprendre les errements de sa mère, à constater et subir les ressentiments de ce couple si disparate. Tonino Benacquista nous raconte son désir de passer inaperçu, sa détestation de l'école, son inculture, son impossibilité de terminer un livre et le problème de voir son frère et ses sœurs quitter le domicile chacun leur tour pour le laisser seul face à ses parents.

C'est parfois croquignolesque, tant les situations sont embarrassantes entre ses parents ou avec ses parents. C'est le récit d'une famille de déracinés venus en France pour le travail avec l'espoir de faire fortune par rapport à la misère du pays d'origine. Mais c'est aussi l'histoire d'un couple, dont l'un des deux subit le choix de l'autre de partir et qui ne trouve pas ses repères, ou ne souhaite pas les trouver pour marquer son mécontentement. Cela nous raconte aussi la difficulté pour des enfants de trouver leur place dans un nouveau pays, de ne pas savoir s'ils sont encore italiens ou s'ils sont devenus français. Comme beaucoup de familles immigrées, se pose aussi le problème de savoir si les parents restent en France la retraite venue ou s'ils retournent dans leur pays d'origine où ils ne sont plus vraiment considérés comme des gens du cru. Le mirage du retour laisse parfois place à l'amertume ou les regrets.

Ce roman est souvent drôle et j'ai aimé découvrir la vie de l'auteur qui partait de si loin pour devenir un écrivain et un scénariste reconnu. Comme quoi, même lorsqu'on n'a pas reçu une éducation "normale", que l'on n'a pas eu la chance d'avoir des parents qui vous ouvrent à la culture et que l'on a détesté lire jusqu'à ses vingt ans, il est toujours possible de faire quelque chose de sa vie et de réaliser son rêve même si les embûches ont été nombreuses.

J'ai apprécié le ton de cet ouvrage car jamais Tonino Benacquista n'adresse des reproches à ses parents, jamais il ne leur en veut et il arrive malgré tout à garder une certaine tendresse pour eux quand il jette un regard sur son enfance. C'est le texte d'un auteur plein d'humilité qui se penche sur son passé, son histoire familiale chaotique, qui laisse poindre parfois la nostalgie de ce temps de l'innocence et qui nous éclaire sur les difficultés des adultes et des enfants dans un pays étranger qui n'est pas le pays rêvé.

En bref, j'ai passé un bon moment à lire ce livre sans prétention qui me fait voir d'un autre œil le comportement de certains membres de ma famille. Dans le même thème, je vous invite à lire les trois tomes de la bande dessinée Bella Ciao de Baru.