Les Chroniques de l'Imaginaire

Solaris (Solaris - 227)

Ce 227e numéro de la revue est très intéressant. J'attends toujours la parution d'été avec impatience, pour y découvrir le lauréat du Prix Solaris. Les autres nouvelles du numéro de cette année sont également d'excellente qualité, alors même que la barre était placée haut dès l'ouverture.

Ce qu'on laisse derrière, d'Isabelle Piette, prix Solaris 2023 : Kara part. Son mariage bat de l'aile, elle est malade, et elle doit sauver Alyk, montrer au Conseil qu'il est plus qu'une IA vouée à piloter un vaisseau spatial, qu'il est conscient de lui-même et de ce qui l'entoure. C'est là une très belle nouvelle, en effet, à la progression bien maîtrisée, notamment l'évolution de la relation entre les deux personnages principaux, et les interrogations éthiques qu'elle met en scène ont un écho très actuel. Sur ce thème, les lecteurs et lectrices les moins jeunes pourront sans doute mesurer l'évolution de la SF depuis Anne McCaffrey et son cycle des Partenaires...

Capitaine Bâbord et la sirène, de Jonathan Reynolds : Coralie est seule à savoir que Danika est morte. Pour tous les autres, y compris ses tourmenteurs, elle a juste disparu. Mais les deux adolescentes sont amies depuis leur enfance bercée par l'histoire des aventures du Capitaine. Voilà une autre superbe histoire, avec une progression vers l'horreur bien maîtrisée et une fin glaçante.

Ce que je peux dire de lui, de Karim Kattan : Le narrateur a été aimé d'un dieu avant leur départ à tous, il l'a aimé, mais a refusé de le suivre et est resté pour être témoin de la fin du monde annoncée. Ce texte magnifique, puissamment original, est sans nul doute mon préféré : j'ai été séduite par son humanisme aux accents homériques, et ses échos métaphoriques avec notre monde présent. Un nom d'auteur à retenir, indubitablement.

Entre ombre et lumière, de Su J. Sokol : Une étudiante étrangère, d'une culture humaniste qui valorise les émotions et le dialogue, est soupçonnée de terrorisme et torturée. D'autres échos avec notre présent dans ce texte intéressant, mais à mon avis un peu prévisible, sinon caricatural.

Ad majorem dei gloriam, de Mario Tessier : Un prêtre jésuite professeur au MIT a des problèmes de conscience devant le logiciel SURIEL développé par sa collègue, le Dr Godwin, et surtout devant son absence de toute connaissance du bien et du mal. J'ai bien aimé l'ironie discrète de cette nouvelle, comme sa progression, malgré une fin un peu trop rapide à mon goût.

En lieu et place du Daliaf dans ce numéro, nous avons droit à une visite du Cabinet des curiosités surnaturelles, de Sébastien Chartrand : l'auteur nous fait visiter ici un curieux musée d'Histoire (sur)Naturelle, de ses extérieurs (écuries, bassins, jardins et autres fosse aux fauves) à ses vitrines entomologiques. C'est d'une grande érudition, avec une bibliographie vertigineuse, le style enlevé, comme la recherche graphique des titres, le rend plaisant à lire, et le couplage entre les citations de Bestiaires réels et les références science-fictives est très réussi. Nous n'oublierons pas le guide, et ne manquerons pas de revenir dans un an pour la prochaine visite.

Dans ses Carnets du Futurible intitulés cette fois L'Intelligence artificielle, ou ChatGPT veut avoir un mot avec vous, à lire de préférence après sa nouvelle publiée ici même, Mario Tessier évoque l'historique de l'IA, dans la réalité et dans les oeuvres imaginaires, écrites et visuelles. C'est remarquablement érudit, comme à l'accoutumée, tout en étant plaisant à lire.

La partie Critique est riche, et j'en retiens pour ma part les anthologies de Michèle Laframboise et Elisabeth Vonarburg, deux valeurs sûres, ainsi que Venco, de Cherie Dimaline, qui semble original et intrigant, mais dont je ne suis pas sûre qu'il soit paru en français. Nul doute que d'autres lecteurs et lectrices y trouveront d'autres perles à dénicher, sachant qu'il y a encore d'autres critiques en ligne sur le site de la revue.