A quarante ans, Mia Kankimäki est célibataire, sans enfant, sans bien immobilier, sans travail fixe. Un tableau triste pour certains, dont elle, jusqu'à ce qu'elle se rende compte de la liberté que cette situation lui offre. Elle peut faire ce qu'elle veut, quand elle veut, où elle veut, tant que ses finances le lui permettent. Son compte en banque ne déborde pas, bien qu'elle ait vendu son logement et loue un petit appartement. Mais elle a de quoi partir sur les traces des héroïnes qui peuplent ses nuits et qui offrent un idéal de vie basé sur l'indépendance et la volonté.
Son voyage la mène tout d'abord au Kenya où elle logera quelques temps chez un scientifique finlandais qui l'accueille à bras ouverts avec son épouse somalienne et leur fille de deux ans. A leurs côtés, elle va découvrir un autre pays, d'autres mœurs. Un dépaysement qu'elle craint beaucoup au départ, Mia n'étant pas de nature aventurière ni extravertie. Elle est timide, timorée et anxieuse, ce qui ne l'a jamais empêchée de voyager, elle qui a vécu un temps au Japon. Petit à petit, elle se fait au pays et s'adapte. Elle découvre par exemple que là-bas la chaîne du froid existe à peine et que les plats fortement déconseillés par les guides touristiques sous peine d'intoxications alimentaires sont en réalité délicieux et sans effet nocif.
Elle se plait ainsi à parcourir cette terre en imaginant qu'elle touche du doigt l'expérience de Karen Blixen, dont Mia nous raconte amplement le destin et surtout l'expérience africaine.
Puis elle nous parle de ces grandes aventurières avant-gardistes qui ont osé sortir du rôle d'épouse et de mère que la société du XIXème siècle leur dictait pour partir aux quatre coins du monde. On apprend ainsi tout d'Isabelle Bird, d'Ida Pfeiffer et de Mary Kingsley, des femmes extraordinaires qui avaient une soif de découverte inextinguible et n'avaient peur de rien ni de personne.
Les artistes sont aussi des héroïnes nocturnes, et lors d'un voyage à Florence, Mia Kankimäki s'arrête particulièrement sur trois d'entre elles, des peintres de la Renaissance qui ont réussi à se faire un nom dans un milieu et une époque qui tournaient le dos aux femmes.
D'autres fortes personnalités (que je vous laisse le plaisir de découvrir) sont abordées et toutes sont aussi passionnantes les unes que les autres.
Cet ouvrage inclassable de Mia Kankimäki tient à la fois du récit de voyage, du documentaire sur les héroïnes de ses nuits et d'une introspection sur sa vie et les affres de l'écriture. Cette dernière dimension est peut-être la moins intéressante, sauf lorsque les passages relatifs à ses séjours en résidence d'écrivains ou à la rencontre de ses hôtes sont l'occasion de découvertes humaines et culturelles. C'est bien là le seul minime bémol, car cet ouvrage est absolument passionnant et fascinant. Toutes ces femmes sont des modèles d'inspiration et la lecture de leurs vies, de leurs exploits, donne un élan formidable. Elles insufflent une force qui nous pousse à croire que rien n'est impossible pour peu qu'on le veuille vraiment.
L'écriture de l'autrice oscille entre le journal, le documentaire, la correspondance et le guide personnel. Cette forme d'écriture hybride, tout comme le fond du sujet qui va du récit personnel à la biographie, rend la lecture ludique et facile. On passe du sérieux à l'autodérision à la confidence... Il y a du rythme et on ne se lasse jamais.
Je ressors de cette lecture éblouie et subjuguée, avec l'envie de tout savoir de ces femmes si inspirantes et captivantes. Un grand bravo à Mia Kankimäki pour ce formidable travail de recherche et pour avoir su le rendre si accessible et exaltant.
