Les auteurs de Qu'est-ce que l'opinion publique ? mobilisent les domaines de l'histoire et de la sociologie politique avec une ambition : poser « avec une vaste amplitude historique, la question de l'émergence, des évolutions et métamorphoses, non seulement de l'opinion publique, mais aussi de ses appuis institutionnels et de ses usages sociaux. » L'opinion publique y est vue comme une construction sociale, une notion changeante dans le temps, suscitant un ensemble de questions sur son existence même, son fonctionnement et potentiellement source de conflits.
Thomas Frinault, maître de conférences en science politique, Pierre Karila-Cohen, professeur d'histoire contemporaine, et Erik Neveu, professeur en science politique, n'hésitent pas à parler d'enquête pour qualifier leur démarche. Celle-ci se décompose en trois parties.
La première partie « Saisir l'opinion publique à travers le temps » nous emmène dans le passé, à la recherche de l'idée ou de l'existence même d'opinion publique. Qu'est-ce qu'une opinion publique ? Existait-il une opinion publique dans l'Antiquité et si oui, sous quelle forme ? Et au siècle des Lumières ? Et ensuite ? Ce sont les questions qui seront abordées ici. Le lecteur y trouvera à la fois une analyse de l'évolution de l'opinion publique au cours du temps, de l'Antiquité aux années 1950, mais aussi un éclairage sur les débats à l’œuvre dans le monde académique au sujet de cette même évolution. Il s'agit de la partie que j'ai la plus appréciée : l'analyse historique, la confrontation entre les différentes théorisations de l'opinion publique, la présentation de travaux académiques allant dans un sens ou dans l'autre, tout cela est présenté clairement et s'avère très instructif. La fin du chapitre délaisse déjà quelque peu le domaine historique pour celui de la science politique. On y comprend l'intérêt à suivre l'opinion publique, qu'on souhaite simplement la jauger, la mesurer... ou bien la contraindre, la manipuler, la faire taire.
La partie suivante, « L'opinion publique est ce que mesurent les sondages » poursuit cette réflexion de science politique en évoquant la naissance des sondages, leurs nombreuses limites et leur impact sur la démocratie. C'est là qu'un des aspects que je voyais poindre déjà à la partie précédente m'a vraiment frappée et dérangée. On sentait dans la première partie l'enthousiasme pour certains auteurs ou au contraire le dédain pour d'autres. Par exemple, Gustave Le Bon y est qualifié plusieurs fois de manière péjorative (« piètre » et « médiocre »). On en comprend amplement les raisons à la lecture puisqu'on apprend qu'il a plagié bon nombre des concepts évoqués dans son ouvrage-phare et qu'il prônait la manipulation des masses. Cependant, ces éléments assez factuels auraient suffi à me convaincre du caractère douteux de ses travaux et je me suis un peu étonnée d'une telle véhémence personnelle contre un auteur mort depuis près d'un siècle. Quand on en vient à la partie des sondages, il apparaît manifeste que les auteurs n'apprécient pas cette approche méthodologique. Là encore, leur argumentaire explique cette antipathie, mais leur propos se trouve néanmoins parasité par un ton parfois assez acerbe et des imprécisions. Certaines sous-parties semblent évoquer les sondages quels qu'ils soient tandis que d'autres paraissent se centrer, sans le dire clairement, sur les sondages politiques, qui sont soumis à une législation spécifique.
La dernière partie, « L'opinion publique à l'âge d'Internet », se consacre à la transformation majeure des espaces d'opinion avec le développement du numérique et plus encore des réseaux sociaux, sur les nouvelles données accessibles pour rendre compte des opinions mais aussi sur les évolutions des pratiques de ceux s'intéressant aux opinions. Cette partie m'en a personnellement le moins appris, ce qui ne signifie pas qu'elle n'est pas digne d'intérêt ! Le tout est présenté de manière plus exploratoire mais en décrivant encore une fois les différentes approches possibles, leurs limites et, pour la dernière sous-partie, propose des analyses intéressantes sur l'enchevêtrement entre opinions, journalisme et réseaux sociaux.
Qu'est-ce que l'opinion publique ? est un livre riche en informations que j'ai apprécié de découvrir. Si mon appétence pour l'histoire et la philosophie politique m'ont fait préférer la première partie, nul doute que les amateurs de science politique et de sociologie politique y trouveront également leur compte avec les deux parties suivantes.
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