Les Chroniques de l'Imaginaire

Les envolés - Kern, Etienne

Un soir d'hiver, le 4 février 2016, Etienne Kern navigue sur Internet lorsque son regard se porte par hasard sur la rubrique "éphéméride". Il découvre alors que cent-quatre ans plus tôt, un jeune homme de trente-trois ans s'est tué en sautant du premier étage de la Tour Eiffel alors qu'il comptait faire la démonstration de la réussite de son invention : le parachute. Cet homme s'appelait Franz Reichelt. Les mots d'Etienne Kern nous permettent d'aller à sa rencontre.

Franz était né dans un village près de Prague. Fils de cordonnier, le jeune homme était davantage attiré par la couture et a pu trouver un apprentissage chez un tisserand. Le talent et l'expérience aidant, il est arrivé en France où il a fini par ouvrir son atelier à Paris, rue Gaillon. C'est là qu'il recevait ses clients et gagnait sa vie, modestement, avec une satisfaction tranquille. Il s'était fait un ami en arrivant dans la capitale, Antonio, couturier comme lui qui avait plus d'ambition et de fièvre. Il était en admiration face aux exploits des aviateurs (Louis Blériot, les frères Wright) et rêvait d'atteindre les cieux à cette époque où décoller et parcourir quelques mètres était déjà une prouesse. Malheureusement, les accidents mortels n'étaient pas rares. Une récompense fut donc proposée pour celui qui parviendrait à trouver une solution permettant au pilote de sauver sa vie.

Un incident précis va motiver Franz à confectionner un parachute grâce à ses talents de couturier. Les débuts sont peu prometteurs, il vise trop petit, pas assez fonctionnel. Mais il s'acharne, oubliant ses clients, obnubilé par l'idée de trouver le modèle qui révolutionnera la sécurité des aviateurs. Et il y a autre chose : il veut faire cela pour la femme qu'il aime.

Le récit biographique de Franz est coupé par les incursions des pensées de l'auteur, qui visionne les images et vidéos d'archives, observant impuissant les sourires de l'homme dont on assiste à la mort quelques instants plus tard. Cette histoire trouve un écho personnel dans la vie d'Etienne Kern, qui a connu lui-même dans son entourage deux chutes aux conséquences irrémédiables. On comprend aisément qu'il se sente aussi lié à cet homme sur qui il est tombé par hasard et dont personne ne se souvient aujourd'hui.

Etienne Kern ressuscite avec tendresse l'existence trop brève de Franz Reichelt. L'écriture est belle, sensible, ancrée dans une période de Belle Époque qui croyait au progrès. C'est un bel hommage au jeune inventeur et aux rêveurs qui tentent vaillamment de toucher les étoiles, quitte à se brûler les ailes.