Les Chroniques de l'Imaginaire

De rose alors ne reste que l'épine - Deshoulières, Antoinette

Antoinette Deshoulières est une poétesse française du XVIIème siècle. Sophie Tonolo, l'éditrice de ce recueil, a rassemblé ses textes par thématique plutôt que par ordre chronologique de publication. La première partie « Être femme » montre la place que la poétesse a accordé aux femmes dans son œuvre. L'auteure use d'humour et d'un brin de sarcasme faussement naïf pour mettre en garde ses contemporaines contre l'amour et les hommes ; voire pour critiquer ces derniers. L'épitre chagrine à Mademoiselle de la Charce est à ce titre le poème que j'ai trouvé le plus drôle. Dans un style direct et accessible, l'auteure y règle ses comptes avec les fats de la cour de manière fort efficace.

Antoinette Deshoulières use aussi de ses écrits pour faire part de réflexions plus larges sur la place dévolue aux femmes dans la société. Ainsi, l'épitre adressée à Mademoiselle de la Force prévient la jeune femme des dangers à apparaître cultivée et à poursuivre une carrière de femme de lettres.

La deuxième partie « Chansons, ballades, rondeaux...» est, comme son titre le laisse deviner, plus rythmée et musicale. On y plonge dans des pastorales où l'amour est fréquemment synonyme de tourments. Il s'agit, de manière générale, d'un style de poésie que j'apprécie beaucoup. J'ai donc pris plaisir à lire toute cette partie.

La partie suivante, « La plume à la patte », malgré son humour et ses tournures de phrases forçant l'admiration, m'a moins captivée. Il faut dire qu'il s'agit de poésie animalière, que je suis loin d'apprécier. Pourtant, je suis sûre que de nombreux lecteurs raffoleront de lire les missives entre Grisette, la chatte de l'auteure, et ses nombreux admirateurs dont Tata, le chat de la marquise de Montglas ou encore Cochon, le chien du maréchal de Vivonne. Ces poèmes sont l'occasion aussi bien de traits d'humour que de critiques sociétales. Parce que certaines des réponses semblent être de la main des amis de l'auteure, on a également l'impression de lire une correspondance amicale quelque peu déguisée.

La quatrième partie « Dans le monde » montre les efforts de l'auteure pour mener carrière et notamment pour obtenir de l'argent du roi Louis XIV. Cette glorification de Louis XIV, cette avalanche de compliments dont on ignore s'ils sont entièrement intéressés ou non, le nom LOUIS en majuscules dans les poèmes... Tout ça appelle à réflexion sur la subordination des arts -ou plus largement des sujets - au bon vouloir et au pouvoir royal. Mon intérêt pour cette partie s'est plutôt reporté sur des considérations sociales, politiques et historiques que littéraires.

La dernière partie « Penser et combattre » a retenu mon intérêt sur tous ces plans. Le style direct, la musicalité, le sens de la formule de l'auteure viennent servir avec force ses argumentaires sur la place de l'homme dans l'univers, la mortalité, la raison, le bonheur, l'environnement...

En dédicace de l'ouvrage que j'ai reçu, Sophie Tonolo souhaitait que « la voix d'Antoinette [me] touche, [m']enchante et même [m']amuse ». Ce n'est donc pas sans hésitation que je me suis plongée dans la lecture car mon goût en poésie est ainsi fait que j'ai des difficultés à le prévoir. Je peux me trouver émue par un auteur venant d'un autre pays, ayant vécu des siècles avant moi, et pas du tout par une concitoyenne contemporaine et inversement. Antoinette Deshoulières facilite cependant la création d'un lien avec son lectorat : par le recours fréquent à des épîtres, elle s'adresse directement à ses lecteurs, de manière simple, directe, parfois même familière ou intime. Le choix d'une première partie d'ouvrage laissant la part belle à ce type de poèmes permet donc au lecteur de faire facilement la connaissance de l'auteure et de son humour.

L'édition comporte également, bien entendu, une préface explorant les dimensions phares de l’œuvre d'Antoinette Deshoulières, une introduction résumant les choix faits pour cette édition, une chronologie de la vie de l'auteure, une bibliographie sélective pour aller plus loin et une multitude de notes précisant le contexte de publication, le choix de certaines formulations, les références...

En résumé, si vous aimez sourire en lisant des poèmes, que vous appréciez les fables animalières ou la musicalité en poésie, que les sous-textes sociétaux vous passionnent, vous aurez plaisir à vous plonger dans cet ouvrage. Pour ma part, ce fut un pari réussi !