Les Chroniques de l'Imaginaire

Le dernier des Aînés - Tchaikovsky, Adrian

Défiant l'autorité de sa mère, la princesse Lynesse Quatrième Fille s'est enfuie en catimini de la ville de Praimesite pour se rendre à la tour des Aînés, un lieu tabou au fin fond des montagnes. Elle souhaite faire appel au grand magicien Nyrgoth pour lutter contre une menace indistincte qui serait en train de dévaster les grandes forêts de l'ouest. Après tout, Nyrgoth est déjà venu en aide à son peuple il y a quatre générations de cela, et il a juré de revenir en cas de besoin.

Le souci, c'est que Nyrgoth n'est pas vraiment un magicien, juste… un anthropologue. Il s'appelle en fait Nyr Illim Tevitch et il est venu de la Terre pour étudier la civilisation qui s'est développée sur Sophos 4 au cours de la longue période d'isolation qui a suivi la colonisation de cette planète par l'humanité. Comme tout bon anthropologue, il n'est pas censé interférer avec son sujet d'étude. Il l'a pourtant fait une fois du temps d'Astresse, l'arrière-grand-mère de Lynesse, pour des raisons plus ou moins spécieuses. Il se demande s'il ne ferait pas mieux de revenir dans son caisson d'hibernation plutôt que de répondre à la requête de la jeune Lynesse…

Le dernier des Aînés est un court roman dans lequel Adrian Tchaikovsky s'amuse à brouiller les cartes entre fantasy et science-fiction. Bien qu'il soit dédié à Gene Wolfe, c'est à un autre écrivain des littératures de l'imaginaire qu'il fait irrésistiblement penser. La troisième loi de Clarke, nommée d'après Arthur C. Clarke qui, à défaut de l'avoir imaginée, est celui qui l'a énoncée sous sa forme la plus pure, est la suivante : « Toute technologie suffisamment avancée est impossible à distinguer de la magie. ». C'est exactement ce qui se passe ici : aux yeux de Lynesse, Nyrgoth est un puissant magicien capable de prouesses fabuleuses, alors qu'en réalité, il a simplement recours à des outils sophistiqués (modifications corporelles, satellite en orbite…) et bénéficie d'une compréhension supérieure des rouages de l'univers. La narration alterne entre leurs deux points de vue, ce qui permet de mettre en lumière ce décalage de manière efficace et amusante.

Ce n'est pas pour autant que Nyr est un dieu invulnérable. Sans nouvelle de la Terre depuis des décennies, c'est un homme profondément triste qui use et abuse de son système de dissonance cognitive, une technologie qui lui permet de refouler à volonté ses émotions, positives comme négatives. Il est en outre complètement aliéné de la société humaine de Sophos 4, qui s'est développée dans des directions très particulière pendant ses décennies de stase. Il a notamment beaucoup du mal à s'exprimer clairement dans le langage de Lynesse, un décalage qui donne lieu à un chapitre drolatique dans lequel il s'efforce de donner des explications scientifiques et rationnelles qui sonnent aux oreilles de Lynesse comme un récit mythologique et allégorique. Les deux protagonistes sont cependant unis par les mêmes doutes et le même sens des responsabilités, ce qui les rend attachants et leurs interactions touchantes.

Adrian Tchaikovsky fait preuve d'une grande imagination pour peupler Sophos 4 d'animaux et de plantes étranges, ainsi que d'une société humaine revenue à l'ère pré-industrielle avec des us et coutumes bien particuliers. La menace qui pèse sur la planète est terrifiante à souhait et les héros doivent faire appel à toutes leurs ressources pour y faire face.

En refermant Le dernier des Aînés, j'ai regretté qu'il soit aussi court, car c'était un excellent moment de lecture. Je ne dirais pas non à d'autres aventures avec ces personnages ou dans ces parages.