Les Chroniques de l'Imaginaire

Récits de jeunesse - Flaubert, Gustave

Gustave Flaubert est célèbre pour être l'auteur des romans Madame Bovary et L’Éducation sentimentale, ou encore Salammbô, parmi tant d'autres œuvres. Son génie littéraire est indiscutable. Ce qu'on ne sait pas forcément, c'est que son amour pour la littérature, sa dévotion même, a commencé dès son plus jeune âge. L'édition présentée ici propose quatre récits de jeunesse, dont deux manuscrits n'ont été retrouvés que récemment. Avec un ajustement nécessaire à une lecture tout public, cette parution nous livre ces textes tels que l'écrivain les avait écrits et agencés dans ses manuscrits.

Flaubert a écrit le premier récit, Mémoires d'un fou, alors qu'il n'avait que dix-sept ans. Rimbaud écrivait qu'on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Mais cette assertion ne se vérifie pas chez Flaubert qui a mis tout son cœur et tout son intellect dans ce texte qui est une autobiographie romancée. Faisant mine de laisser libre court à ses pensées telles qu'elles lui parviennent, il entreprend un texte structuré dans lequel il revient notamment sur ses années d'école en internat, difficiles car il n'était pas fait dans le même moule que les autres élèves. L'école l'ennuyait, lui qui s'est dirigé vers les études de droit uniquement pour suivre les désirs de son père. Il savait que la littérature était sa voie.
Ce texte est surtout l'occasion d'évoquer les premiers émois amoureux de l'auteur qui, à travers deux personnages féminins à peine dissimulés, parle de ses amours et surtout celui pour Elisa Schlésinger, qui deviendra Madame Arnoux dans l'Education sentimentale. Flaubert est touchant dans ses souvenirs naïfs et innocents, qui frôlent la sensiblerie, sans pour autant minimiser l'appel érotique de la chair.
Malgré son jeune âge, Flaubert aborde dans ce texte avec une acuité remarquable les thèmes de la condition de l'homme et de son rapport à la nature. Un passage notamment est fascinant tant il colle à notre réalité écologique. Avec parfois trop de dramaturgie, l'auteur se fond dans le rôle du fou qui contemple, désabusé, le monde qui l'entoure, comme s'il avait déjà tout vécu et qu'il n'y a plus de joie à découvrir.
Enfin, ce récit témoigne de la culture étendue de l'auteur en matière de littérature et de sa réflexion sur cet art, qu'il livre tout au long de ces Mémoires. "Comment rendre par des mots ces choses pour lesquelles il n'y a pas de langage (...) ?"

Le deuxième récit, Novembre, relève également de l'autobiographie. Cette fois, le sujet principal est la découverte de la sexualité auprès d'une prostituée, qu'il n'a pas payée, ce qui nuance l'idée d'une relation sans affection. Leurs rencontres et discussions occupent l'essentiel du texte, riches en descriptions charnelles qui témoignent de l'initiation réelle qu'a connue Flaubert auprès d'Eulalie à Marseille. Une relation brève mais brûlante.
L'écriture est dans la continuité de Mémoires d'un fou mais on remarque que la grandiloquence a disparu pour laisser place à une réflexion plus pondérée.

Les deux derniers écrits forment un second diptyque car ce sont des récits de voyage, l'un dans les Pyrénées et en Corse, l'autre en Italie. Cette fois, la femme et ses attraits sont relégués à l'arrière-plan. En effet, ses parents étant susceptibles de lire les comptes-rendus, mieux valait s'en tenir aux descriptifs des paysages, des villages et des populations.
Les étapes sont nombreuses et Flaubert est un observateur hors-pair, aussi ses notes écrites plusieurs heures après à la lumière du soir sont-elles très précises et détaillées. On visualise sans peine les collines, vallées, lacs, petites places et auberges. Si bien qu'on peut sans mal retrouver à peu près les chemins qu'il a suivis il y a presque deux-cents ans.
Dans Pyrénées et Corse, Flaubert fait vibrer sa prose. On sent qu'il prend plaisir à faire ce voyage et à découvrir ces nouveaux endroits. Pour l'Italie, c'est moins évident. Le texte découle davantage d'une succession de notes que d'une volonté de partager et revivre par la relecture son périple. Comme le souligne la préface, la différence tient sans doute au fait que le premier voyage se faisait en compagnie d'un ami de la famille avec qui il s'entendait à merveille, le deuxième aux côtés de son père et de sa mère...

Cette nouvelle édition nous fait ainsi découvrir quatre récits de Flaubert ayant en commun de faire partie des premières œuvres de l'écrivain et d'être écrits à la première personne, nous mettant au plus près de l'auteur. Un auteur très talentueux, un peu prétentieux aussi, comme on peut l'être quand on n'a pas vingt ans et qu'on sait déjà poser un regard si intelligent sur le monde. De ce recueil, on retiendra particulièrement Mémoires d'un fou, une petite merveille de bout en bout.
Il faut souligner le travail remarquable originel de Claudine Gothot-Mersch et d'Yvan Leclerc par la suite car la préface est très éclairante et les nombreuses notes permettent notamment de voir tous les éléments déjà présents qui se trouveront plus tard dans les futures œuvres majeures de l'auteur.