Le dérèglement climatique, les guerres, la pollution à grande échelle, les pandémies ont fait que l'humanité tout entière meurt de faim. Plus rien ne pousse, il n'y a plus d'eau, les températures atteignent des sommets, tous les animaux ont été abattus à cause des virus qu'ils transmettaient à l'homme, c'est le chaos que tente d'endiguer tant bien que mal les États de l'Union.
La violence est quotidienne, dans les files d'attente aux points d'eau, dans les boutiques dévalisées, dans la rue. Les gens ont faim, soif, et se battent pour leur survie. Puis les enfants se mettent à disparaitre. C'est ce qui arrive à la petite sœur de Rodin, Viviane, un jour où les deux enfants sont partis chercher de l'eau, pendant que leur mère était au travail.
Rodin grandit et devient militaire. Anéanti par la disparition de sa petite sœur et par sa séparation avec Véronica, sa femme, il est un militaire efficace, compétent et dévoué. Lors de la période que l'on nommera plus tard la Grande Faim, son coéquipier Will et lui-même vont assister à des scènes horribles de cannibalisme, certains humains n'ayant absolument plus rien à manger, en étaient réduits à manger leurs morts.
Puis un jour, de la viande réapparait sur le marché, dans les boucheries, au marché noir, à un prix indécent. C'est du cochonglier, une espèce qui avait été sauvegardée en secret. L'abondance revient petit à petit.
Rodin est un jour convoqué par le Président lors d'un colloque particulier avec les autres chefs d’État. Lors de cette réunion, où le Président leur offre un repas gastronomique délicieux entièrement basé sur de la viande de cochonglier, tous apprennent avec stupeur que ce fameux cochonglier n'est pas du tout du cochonglier mais de la chair humaine. Le cochonglier a été éradiqué comme toutes les autres espèces animales. Le cannibalisme s'est répandu pendant la Grande Faim et certains bouchers peu scrupuleux ont décidé d'en vendre. Les prix ont flambé, il a fallu réguler tout ceci, mais la Faim était terminée.
Le président Nielsen explique à ses pairs qu'il va falloir prendre une décision radicale, terrible, et entériner cette pratique pour le bien de tous. C'est la naissance du Code Protéine. Rodin est promu Commandant du site Alpha de production de protéines où sont élevées, soignées, engraissées, puis abattues les protéines. Certaines sont destinées à la reproduction, d'autres à la Cosmétique (les cancers de la peau sont légion, et chacun sait qu'il devra au moins une fois, probablement plusieurs fois, subir une greffe de la peau). Les protéines étant élevées à l'intérieur et n'étant jamais en contact avec le soleil, leur peau est parfaite pour remplacer celle des humains. Le processus est mis au point avec soin, et pendant quelques décennies la population vit plus heureuse, apaisée.
Ce roman glacial est remarquablement intelligent. Même si le sujet fait froid dans le dos, on lit ce livre avec stupeur, dégoût parfois, mais aussi avec admiration. L'autrice raconte avec un immense talent le fonctionnement de l'élevage des protéines, sans jamais citer, à aucun moment, la véritable nature de ces protéines. C'est très détaillé, toujours crédible. L'histoire de Rodin, au final seul personnage que l'on suit dans ce roman, qui par malheur croise un jour le regard d'une protéine femelle (chose qu'il ne faut jamais faire) apporte ce besoin pour le lecteur de s'identifier à un personnage, de visualiser ce monde terrible par le petit bout de la lorgnette.
L'écriture de l'autrice est efficace, sans fioriture, directe. C'est un roman presque document-fiction horrible, certes, mais puissant, et qui interroge.