C'est pendant le confinement, cette période où le temps s'est ralenti et qui a permis à beaucoup de réfléchir sur leur vie, que Marc Dugain, depuis la fenêtre de sa maison qui donne sur la mer, a repensé à son père. Les mots lui sont venus pour raconter qui il était, et comment par la force de la volonté, il a réussi à aller là où il le voulait.
L'écrivain commence par la fin. Cette chambre d'hôpital du dernier étage, celui dont on sait qu'il sera la dernière demeure des malades. Il voit son père allongé et il n'y a qu'à attendre que tout finisse. Dans le couloir, là où il laisse couler ses larmes, le jeune homme qu'il était alors reconnaît dans l'interne qui passe devant lui un ancien partenaire de tennis. Il lui demande de l'aider à abréger les souffrances de son père et pour le convaincre, lui raconte son histoire.
Né en Bretagne, l'aîné de la famille vit avec son frère, sa sœur et sa mère. Le père est marin depuis toujours, parti de longs mois, la tête dans les vagues quand il est sur terre. La famille part au Havre pour le travail du père et Marguerite tente tant bien que mal de subvenir au besoins de la famille : la deuxième guerre mondiale est là et son mari est resté coincé de l'autre côté de l'Atlantique. Mission annulée, pas de salaire versé. De retour en Bretagne, les enfants doivent aider au foyer tout en suivant leurs études. Tâche difficile que le père de Marc Dugain mène avec succès.
Pourtant, un évènement majeur va tout remettre en question. Il a contracté la poliomyélite et ses deux jambes sont paralysées. Dès lors, soit il abandonne ses rêves de devenir un marin gradé, soit il se bat. A force d'opérations et surtout de volonté, il parviendra à retrouver l'usage d'une jambe, ce qui lui fera adopter toute sa vie une démarche boitillante. Mais jamais il ne laissera cette particularité devenir un handicap.
Marc Dugain suit ensuite la chronologie de sa vie et développe dans le même temps la galerie des personnages qui vont s'ajouter au fil des années. Cela commence par la rencontre avec sa mère, une diplômée qui a d'ores et déjà décidé qu'elle ne sera jamais une femme au foyer mais qu'elle s'épanouira professionnellement, même si cela doit prendre du temps, même si cela demande des sacrifices. Il y aura aussi les beaux-parents, les cousins, avec leurs lots de qualités et de défauts, si bien dépeints par l'écrivain que nous avons le sentiment de faire partie de la famille. Il y a notamment ce grand-père gueule cassée qui inspirera le premier succès de l'auteur : La chambre des officiers.
La carrière de son père l'a mené en expédition en Nouvelle-Calédonie et au Sénégal, des colonies dans lesquelles lui et son épouse ont énormément aimé vivre, loin de la métropole étouffante. C'est à cette occasion notamment que la voix de Marc Dugain se fait plus présente, car au fil du récit il apporte son regard rétrospectif sur la vie de l'époque : la colonisation, le consumérisme, la quête d'un standard de vie, l'après-guerre qui pardonne aux collabos par souci d'économie nationale, etc. Un regard critique mais indulgent sur une époque qui regardait le monde forcément avec des yeux différents, même si ses parents avaient déjà un cran d'avance. La mère carriériste ; le père lucide sur la destinée des colonies.
De bout en bout, ce qui transparaît, c'est une profonde admiration pour cet homme que l'auteur commençait tout juste à véritablement connaître lorsque la maladie l'a emporté. Les conflits adolescents étaient terminés, leur relation avait gagné en écoute et en respect. Marc Dugain rend avec ce roman un très bel hommage à son père et le titre choisi est on ne peut mieux trouvé.