Les Chroniques de l'Imaginaire

La victoire en pleurant - Cordier, Daniel

Juin 1943, Daniel Cordier retrouve dans le métro de Paris l'un de ses camarades de la résistance qui lui apporte le courrier de la résistance de Lyon. Mais une mauvaise nouvelle l'attend, Rex a été arrêté. Rex, c'est Jean Moulin et Cordier est son secrétaire. À cette nouvelle, c'est le désespoir qui l'envahit tellement il est admiratif de son patron et de l'homme. Troublé, il hésite un instant à démissionner pour retourner à Londres mais ses camarades de clandestinité le convainquent de poursuivre sa mission pour la Résistance et la France. Daniel Cordier reprend alors sa valse des rendez-vous clandestins, des ordres à passer et prépare le terrain pour le successeur de Jean Moulin. Machinalement, il continue ses activités, se laisse assaillir par le doute, la disparition de plusieurs de ses camarades le plombe mais il continue en dépit des dangers à œuvrer pour que l'ennemi soit vaincu et que la France retrouve sa souveraineté.

Dans cet ouvrage, nous suivons la dernière partie de la guerre de Daniel Cordier, lorsque la pression est plus forte sur la Résistance et que les divisions entre les différents groupes reprennent le dessus après la mort de Jean Moulin. Nous assistons aux luttes d'influence pour contrer la mainmise du général de Gaulle sur la France Libre, les communistes aux ordres de Staline qui prennent de plus en plus d'importance et cherchent à prendre la tête de la lutte et du pouvoir à la libération. On croise des hommes connus tels que Camus, Malraux, Aron, Sartre dont certains l'influenceront.

Ce livre permet de nous rendre compte de ce que c'était d'être résistant pendant la guerre, du souci constant de rester discret, de la peur d'être repéré et arrêté et surtout la crainte de lâcher des noms sous les coups et la torture. Ce devait être effroyable pour ces femmes et ces hommes de vivre constamment sous cette pression et de savoir que, s'ils sont grillés, c'est toute l'organisation qui risque de tomber. J'admire ces gens qui ont su dire non, qui ont rejoint de Gaulle à Londres et ceux qui sont restés en France pour aider clandestinement la France à se relever. Personne ne peut dire ce qu'il aurait fait à cette époque. L'auteur en est l'exemple type, puisque militant de l'Action Française (extrême droite) avant guerre, ceci ne l'a pas empêché de résister aux nazis ; il n'est pas devenu pétainiste ni milicien. Il a préféré se battre contre l'ennemi et travailler avec ceux qui étaient d'autres bords politiques. Cet homme a mis les valeurs de son pays au dessus de ses opinions politiques, lui permettant d'évoluer politiquement au cours de la guerre et de devenir proche de certaines idées communistes.

La naïveté de l'auteur est parfois touchante lorsqu'il espère que Jean Moulin reviendra à la fin de la guerre ou que ses compagnons arrêtés reviendront comme si de rien n'était des camps de concentration. La chute est d'autant plus douloureuse lorsqu'il en retrouve certains à la Libération. Il s'en veut de sa naïveté et d'être resté à Paris libre et sain et sauf. Cela aurait pu être pesant mais certains passages sur ses rencontres avec des intellectuels ou sa découverte d'artistes et d’œuvres d'art permettent de donner un peu de légèreté à ce témoignage.

L'intérêt historique est indéniable, c'est instructif sur la guerre, sur le fonctionnement de la Résistance et sur les Français. Les visites à sa famille et dans son village sont révélatrices de l'état d'esprit de l'époque, les Français étant partagés entre les résistants (peu nombreux), les collaborationnistes, les attentistes et les indifférents.

Ce livre est un hommage à tous ceux qui sont morts et se sont sacrifiés pour la France et leurs idées. Certes, la victoire est belle pour Daniel Cordier mais à quel prix ! Tous ces morts, ses amis disparus, ceux revenus dans un état déplorable et ces massacres, sa foi en l'humanité en a pris un coup et ne le laissera plus jamais comme avant.