Les océanians vivent heureux, cachés au fond de l'océan qu'ils appellent le Bleu. Pour remercier le Bleu de les avoir sauvés il y a des milliers d'années, ils ont instauré une quête initiatique que tous les jeunes doivent entreprendre quand ils atteignent seize ans. Ils doivent alors passer un mois sous forme humaine, au cours duquel ils doivent aider un humain de manière désintéressée. Pas question de se défiler, sinon ils ne pourront pas retrouver leur forme de sirène et revenir dans l'océan après leur séjour sur la terre ferme.
Crête enrage de devoir quitter les siens pour aller aider l'un de ces humains qu'iel* méprise. Mais comment faire autrement ? Lo* voilà donc larguæ* sur une plage de Los Angeles. Iel* disposera d'un bungalow et de matériel pour l'aider à s'installer, mais iel* sera seulx* pour accomplir sa mission.
(* Non ce ne sont pas des fautes de frappe ! Voir plus loin...)
Sean est sauveteur et surveille justement la piscine voisine quand des hurlements lui apprennent qu'un corps vient de s'échouer sur la plage. Il se précipite pour porter secours et fait ainsi la connaissance de Ross (alias Crête).
Il se trouve que Sean a justement besoin d'aide : il est dans tous ses états car son petit ami Dominic vient de rompre sans explication. N'est-ce pas un signe du destin ? Ross accepte d'aider Sean, qui est persuadé de reconquérir son aimé en le rendant jaloux, en s'affichant en couple avec Ross. Tous deux pourront ensuite se séparer sans regret, puisque Ross n'envisage pas de rester humain pour le reste de sa vie.
Alerte à MaliBlue est une comédie romantique comme les apprécie Sean, une lecture légère et feel good qui donne le sourire. Un faux couple, des sentiments qui naissent petit à petit, plus forts que ceux éprouvés précédemment... Et bien évidemment, une touche fantastique, vu que Ross est une sirène ! Seule la fin détonne un peu dans cet océan de douceur, mais sans réelle déception pour le lecteur qui s'y attend quand même un peu.
Les personnages sont sympa : Sean est un fan de cinéma et imagine toute sa vie en termes d'enchaînement de scènes de film ; Ross découvre avec quelques surprises (bonnes ou mauvaises) comment vivre hors de l'océan. La narration passe de l'un à l'autre, chacun racontant l'histoire selon son point de vue. Les personnages secondaires sont peu nombreux et manquent d'épaisseur, mais cela ne pose aucun problème de se concentrer sur Sean et Ross.
Le livre parait dans la collection Ellipsis, qui publie des textes contemporains engagés, on n'est donc pas étonné d'avoir affaire à une romance queer. C'est peut-être un poil exagéré, vu que tous les personnages nommés sont gay ou bi (l'ami d'enfance, la meilleure amie, les mères de celle-ci...), mais comme les protagonistes sont vraiment peu nombreux, cela reste réaliste.
La surprise vient plutôt du peuple des océanians, qui s'annonce non genré. Plutôt pertinent vu qu'ils n'ont pas d'organes génitaux et vu leur mode de reproduction (pouf ! un peu de magie et voilà des bébés océanians...). Pour le sexe du corps humain pendant la quête, on le découvre au moment de la transformation, d'ailleurs Ross n'est pas raiment ravi de ce corps masculin qu'il s'empresse d'habiller de manière féminine !
Mais du coup, les océanians parlent d'eux-mêmes en utilisant un langage neutre. On s'est déjà habitués à l'écriture inclusive qui devient de plus en plus répandue en France, et qui permet de représenter des groupes comprenant des personnes de genre différents. Le neutre pour sa part est destiné à représenter des personnes non binaires.
Le hic, c'est que pour le moment il n'y a rien de normalisé dans la langue française et chacun invente les règles du neutre à sa sauce, remplaçant les terminaisons des mots avec plus ou moins de bonheur. Ici, les voyelles en avant-dernière position sont souvent remplacées par des "a" ("chaperon" devient "chaperan"). Si elles sont en dernière position, elles sont soit remplacées ("é" devient "æ" : "agacé" devient "agaçæ"), soit suffixées d'un "x" au singulier et d'un "z" au pluriel ("convaincu / convaincus" devient "convaincux / convaincuz"). Les consonnes finales muettes - ou celles différentes au masculin et féminin - disparaissent (quelle perte pour l'étymologie !) au profit des mêmes "x" et "z" ("inattentif" devient "inattentix")... sauf s'il y en avait déjà auquel cas on les enlève ("curieux" devient "curieu" au singulier et "curieuz" au pluriel). Et bien sûr, les pronoms ont leurs propres règles encore plus étranges.
Pour moi, c'est à la fois peu intuitif et peu lisible. D'ailleurs, l'ouvrage abonde de notes de bas de page indiquant que les mots annotés sont les versions binaires de tels autres mots. Il y a plus de deux-cent-cinquante notes, jusque dans les dernières pages, certaines notes étant parfois reprises mais la plupart du temps il s'agit des mots non encore rencontrés. Ces innombrables commentaires auraient été avantageusement remplacées par quelques pages indiquant une fois pour toutes les règles utilisées. Mais... peut-être que cela aurait mis en évidence les incohérences ? Car pourquoi "clients" devient "clientz" en gardant son "t" muet tandis que "idiots" devient "idioz" en le perdant ? D'où sort le "n" de "entian", version neutre d' "entier" ? Pourquoi peut-on utiliser "sortix" à la fois au singulier et au pluriel ? Soit les règles sont trop compliquées, soit la traductrice s'est régulièrement emmêlée les pinceaux car on trouve des cas bizarres toutes les quelques pages ! Honnêtement, je la comprends, c'est un vrai casse-tête et ça n'aide pas que le correcteur orthographique souligne la moitié des mots qu'il considère erronés...
Je pense que vous aurez compris que je n'ai pas du tout apprécié cet emploi omniprésent du neutre. J'ai passé plus de temps à essayer de recenser les règles et illogismes - papiers et crayon en main - qu'à vraiment savourer ma lecture. Le pompon, ça a été l'emploi du neutre pour les baleines : je pourrais comprendre si on ne connait pas son sexe, mais quand on parle d'une femelle avec son bébé, le neutre semble excessif. Ma lecture est devenue plus fluide au fil des pages, mais toujours un peu laborieuse. C'est d'autant plus dommage que sinon je n'ai rien à reprocher à ce roman que j'ai trouvé vraiment sympa !
Bref, si vous flashez sur la jolie couverture, si vous aimez les romances d'été légères et que le style neutre ne vous pique pas les yeux, cette lecture est pour vous !