Les Chroniques de l'Imaginaire

La Terre plate : généalogie d'une idée fausse - Giacomotto-Charra, Violaine & Nony, Sylvie

La Terre est ronde. Ce fait bien connu de nos jours était déjà une certitude pour les philosophes de la Grèce antique comme Platon et Aristote. Au troisième siècle avant notre ère, Ératosthène de Cyrène en évalua même la circonférence avec une précision remarquable en observant simplement l'ombre portée de deux bâtons.

Hélas, l'irruption du christianisme à la fin de l'Antiquité déboucha sur l'oubli de ce fait qui contredit la Bible. Tous les érudits du Moyen Âge, ère dominée par l'obscurantisme et la superstition, crurent donc la Terre plate. Il fallut attendre la Renaissance et l'émergence d'individus comme Christophe Colomb ou Galilée pour que la raison triomphe enfin et qu'on admette la sphéricité de la Terre.

Le premier paragraphe de cette chronique est vrai, mais le second est entièrement faux, bien qu'il rapporte une croyance largement répandue. C'est précisément à démonter ce mythe que s'attachent les chercheuses Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony dans ce petit livre qui regorge d'informations. Leur démonstration s'effectue suivant deux axes. Dans un premier temps, elles retracent l'histoire de l'idée de la Terre ronde, en remontant jusqu'aux auteurs grecs et en déroulant sa transmission dans divers manuels et encyclopédies, d'abord sous l'empire romain, puis chez les auteurs médiévaux. Elles soulignent bien que les pères de l'Église ne trouvent dans l'ensemble rien à redire à ce concept, à quelques exceptions près.

La deuxième partie du livre fait elle aussi l'histoire d'une idée, mais c'est de l'idée fausse selon laquelle le Moyen Âge aurait oublié la sphéricité de la Terre. Ce mythe émerge progressivement aux dix-septième et dix-huitième siècles, où il est notamment porté par un certain Voltaire. On se trouve alors dans un contexte d'anticléricalisme fort où les tensions entre l'Église et la science se font plus fortes (les autrices rappellent judicieusement que c'est à l'époque moderne et non au Moyen Âge que l'on a le plus brûlé de sorcières en Occident). Les biographes de Christophe Colomb, qui cherchent à le présenter comme un pionnier héroïque et visionnaire, en butte à une société arriérée et sclérosée, contribuent également à la propagation du mythe que l'on retrouve encore aujourd'hui dans certains manuels scolaires.

La Terre plate est court, mais dense. Il nécessitera de votre part une attention soutenue qu'il mérite tout à fait : c'est un voyage fascinant dans l'histoire des idées qui les remet (les idées) bien en place. Ses autrices le concluent sur un plaidoyer en faveur de l'enseignement de l'histoire des sciences auquel on ne peut que souscrire.