Les Chroniques de l'Imaginaire

Le festin - Kennedy, Margaret

Un drame s'est produit sur la côte de Cornouailles. Un bout de falaise s'est effondré sur un petit hôtel de famille, emportant avec lui sept personnes. Qui ? Nous ne le saurons qu'à la fin du roman, après le compte à rebours qui reprend les jours précédant l'effroyable accident.

Nous faisons ainsi connaissance avec deux familles qui vont s'installer à l'hôtel, alors que nous sommes en 1947 et que les séquelles de la guerre sont encore très présentes. Il y a Mrs Cove, l'avarice incarnée, qui conserve précieusement ses tickets de rationnement pour des bonbons qu'elle refuse de donner à ses trois filles, auxquelles elle n'accorde aucun petit plaisir. Il y a Mrs Gifford, qui se complaît dans son statut de malade et s'isole dans sa chambre, laissant ses quatre enfants pousser comme des herbes folles. Hebe, une de ces enfants, adoptée, est particulièrement espiègle et entraîne les autres dans ses bêtises. Il y a le couple Paley, totalement éteint depuis que la mort de leur fille a dressé un mur entre eux. Les hôtes forment aussi une famille hétérogène. Le père ne se mêle de rien de ce qui touche l'hôtel et expose son savoir et sa philosophie dès qu'il le peut. Chez les trois fils, le moins beau doit travailler dur pour que les deux mieux lotis puissent faire des études. Le personnel n'est pas en reste, avec une gouvernante mauvaise comme la gale qui sort sa langue de vipère à la moindre occasion. Sans parler d'Anna, l'écrivaine d'un âge certain aux pieds de laquelle les hommes tombent comme des mouches.

Pendant une semaine, un jour après l'autre, les relations se nouent, se dénouent, les personnalités se révèlent. Forcément, on s'attache plus à certains qu'à d'autres et à mesure qu'on approche de la nuit fatale, on commence à espérer que les uns en réchapperont et que d'autres disparaîtront pour toujours...

Le festin, rêve ultime des filles Cove qui vivent dans la frugalité forcée et aspirent à vivre un moment d'opulence et de partage avec les autres, est le fil rouge qui guide tous nos personnages. On comprend que cet évènement sera décisif et qu'il prendra des allures de Cène, réunissant les bonnes âmes autour d'un bon repas. Ce symbolisme n'est pas fortuit car l'idée de Margaret Kennedy était de produire un huis clos dans lequel les sept péchés capitaux se confronteraient, incarnés par des personnages facilement identifiables.

Roman publié en 1950 et redécouvert récemment par La Table Ronde, Le Festin offre une histoire d'après-guerre ancrée dans son temps et nous plonge dans une délicieuse ambiance british. Les personnages aux personnalités fortes frôlent la caricature en restant sur le fil et cela donne un huis clos qui donne le sentiment de mener une expérience : mettons tous ces gens dans le même bocal et voyons ce que cela donne. Margaret Kennedy glisse des rebondissements qui maintiennent notre intérêt en enveloppant son récit d'une ironie mordante. Son pari est réussi !